La formation initiale des enseignants, 50 ans après le rapport Parent

Voici un compte rendu de mes propos, partagés comme panéliste à la table ronde sur la formation initiale des enseignants dans le cadre de la 2e journée d’étude « Cultiver l’Éducation au Québec : 50 ans après le rapport Parent » organisée par l’UQAM.

Introduction

C’est tout un honneur de participer à cette réflexion et je tiens à remercier les organisateurs de leur confiance en me permettant de partager avec vous mes réflexions. Étant né avant le rapport Parent, et étant issu de l’application des recommandations de ce rapport, c’est aujourd’hui un privilège non seulement de pouvoir réfléchir à l’impact de ce rapport après 50 ans, mais aussi de contribuer à la réflexion sur l’avenir de l’éducation, de l’école et du système éducatif québécois.

Une citation pour débuter :

La crise de l’enseignement est universelle. Partout sont remises en question les structures administratives et pédagogiques, partout se préparent ou s’appliquent des réformes plus ou moins radicales; c’est que l’homme moderne n’habite plus le même univers que ses ancêtres.

Tiré du rapport Parent, 1964, Tome II p. 19

Nous pourrions facilement appliquer cette citation au contexte actuel du système éducatif mondial. Étonnant ? Certainement pas! L’éducation doit évoluer au même rythme que notre connaissance et doit se remettre en question périodiquement pour assurer une formation pertinente et répondant aux besoins des générations futures. Ce qui serait inquiétant serait plutôt de continuer à évoluer dans un système éducatif qui ne tient pas compte de l’évolution du savoir et de la connaissance sur le processus même de l’apprentissage.

Situer la formation initiale des enseignants

L’objectif de cette table ronde organisée par l’UQAM étant de réfléchir plus particulièrement sur la formation initiale des enseignants, je dirais d’entrée de jeu que l’élément central de ma réflexion sur le sujet est le constat que le métier d’enseignant a subi des modifications profondes et que le rôle de l’école change depuis plus d’une décennie.

J’ouvre une parenthèse pour souligner que la délicate question de la professionnalisation du métier d’enseignant est déjà abordée par le tome III du rapport Parent (p. 245) et que j’ai nullement l’intention d’élaborer sur ce sujet aujourd’hui. Mais je me permet de citer les propos de Maurice Tardif, tirés de son dernier livre, dans la conférence d’ouverture d’aujourd’hui, « les universités forment des professionnels pour une profession qui n’existe pas encore ». Il y aura certainement lieu d’y réfléchir dans une autre tribune, surtout quand on abordera la question de la formation continue et du développement professionnel. Fin de la parenthèse.

Donc revenons au changement du rôle des enseignants. D’abord, le changement de paradigme mis de l’avant avec la réforme ou renouveau il y  a  plus de 10 ans, où il ne suffit maintenant plus « que» d’enseigner, mais bien de « faire » apprendre. Ce changement important inclut donc une forme de « reddition de comptes » que viendront préciser les conventions de gestion, de partenariat ainsi que les plans de réussite des établissements.

Grâce au Rapport Parent, le Québec s’est doté d’un système d’éducation accessible et obligatoire pour tous. Or, le même système s’attend aujourd’hui  à ce qu’on assure la réussite (ou à tout le moins la diplomation) de tous et de préférence avant 16 ans!  Il y aurait certainement lieu, éventuellement, de se questionner sur la différence entre la réussite et la diplomation, mais chose certaine, les taux de décrochage actuels m’amènent à dire que l’on a réussi à démocratiser l’éducation mais pas nécessairement l’apprentissage.

On demande à l’école et du coup aux enseignants : d’instruire, de socialiser et de qualifier une clientèle,  incluant les enfants à besoins particuliers, le tout en « suivant » les avancées technologiques et en assurant la réussite pour tous ! En 10 ans, nous sommes passés d’un modèle où le rapport au savoir était centré, à un modèle où le savoir est polycentrique. L’enseignant n’est plus le seul à connaître. Les élèves et les parents ont accès à la connaissance et à la technologie du bout des doigts, ce qui bouleverse la relation maître/élèves et donc le métier d’enseignant.

C’est ce qui m’amène à dire que le métier a radicalement changé depuis le rapport Parent et qu’il continuera à se modifier. Le sujet est donc important : qu’en est-il de la formation initiale de nos futurs enseignants mais aussi de ceux qui la donnent ?

 

Les enjeux en regard à la formation initiale des enseignants 

Une étude d’envergure de l’OCDE sur les politiques à l’égard des enseignants, menée entre 2002 et 2004 concluait que:

La qualité des enseignants est le premier levier d’amélioration de l’efficacité des systèmes d’éducation.

D’où l’importance du recrutement et donc de la valorisation du métier d’enseignant, de la formation initiale mais aussi de la formation continue, élément essentiel permettant d’assurer le haut degré de compétence des enseignants.

Le premier enjeux serait donc d’attirer des candidats pour qui l’enseignement est un « premier » choix. Il m’apparaît ensuite important d’assurer la rétention des finissants dont on évalue le décrochage entre 15 % à 30 % après leur première année dans les écoles. Les chiffres sur le sujet divergent, en 2004, la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants (FCE) évaluait ce nombre à 30 % alors qu’en 2002 , le Comité d’orientation de la formation du personnel enseignant (COFPE) l’évaluait à 20 %. Mais nous pouvons nous entendre sur le fait que ces chiffres sont inquiétants et qu’il faudra s’intéresser rapidement à cette réalité.

Un autre enjeux serait de développer un réflexe de formation continue, essentiel dans toute profession. Nos enfants devront « apprendre à apprendre » s’ils veulent arriver à évoluer dans le monde futur; les enseignants devront eux aussi développer des pratiques réflexives et remettre périodiquement en question leurs pratiques.

Les universités devront ajuster les parcours universitaires en fonction des nouvelles réalités, autant technologiques que pédagogiques.

Et finalement, s’assurer que la formation offerte par les professeurs universitaires et les chargés de cours est « à jour » et que ces enseignants modélisent eux-mêmes les nouveaux modèles attendus.

 

Qu’est-ce qui fonctionne bien actuellement dans la formation initiale des enseignants

À mon avis la modification de la formation initiale échelonnée sur 4 ans au lieu de 3 a certainement permis une première forme de « sélection naturelle » des candidats par les stages, dès le début de la formation. Les 4 stages permettent d’évaluer l’intérêt pour le métier tout en faisant un lien entre la théorie et la pratique.

La grande diversité des cours offerts en option permet de répondre à un besoin de formation qui a grandement évolué au cours des dernières années.

Quels sont les problèmes de la formation initiale des enseignants ?

J’insiste sur la rétention des enseignants/finissants dans le métier qui doit faire l’objet de toute notre attention, autant pour en évaluer les causes que pour en identifier des mesures correctrices.

Les compétences en évaluation doivent être mieux développées en formation initiale. Un seul cours ne suffit pas pour assurer aux futurs enseignants une base suffisante dans un contexte aussi complexe que le développement de compétences.

La formation initiale doit aussi inclure le développement de compétences à mobiliser les TIC. Ne parlons plus d’intégration, mais bien de mobilisation en cours d’apprentissage, dans toutes les matières. D’où l’importance de la présence de ces technologies tout au long de la formation initiale dans tous les cours et non pas d’un « cours » d’informatique.

Les élèves à besoins particuliers ne sont plus que l’affaire d’une spécialisation du métier d’enseignants. Aujourd’hui, ces élèves bénéficient d’un soutien en dehors des classes, mais la majeure partie du temps ils sont dans la classe de l’enseignant généraliste. Il faut donc absolument développer les compétences des futurs enseignants pour accompagner cette clientèle à besoins particuliers avec des ressources qui seront très souvent limitées.

 

Quels sont les besoins à court terme en regard à la formation initiale des enseignants ?

Que les nouveaux enseignants terminent leur formation en ayant pu vivre une modélisation adéquate dans l’ensemble de leur parcours universitaire en matière de mobilisation des TIC et d’évaluation des compétences et des apprentissages.

Que les nouveaux enseignants aient reçu une formation adéquate en intervention et en gestion des troubles d’apprentissage et de comportement.

Et finalement qu’ils puissent avoir bénéficié d’une expérience pratique sur le terrain en matière d’évaluation, de production du bulletin, et des rencontres de parents.

Que devrions-nous faire pour bonifier la formation initiale des enseignants ?

A cette question, je suis loin d’avoir les réponses ou une recette magique. Je proposerai plutôt des pistes de réflexions.

Serait-il envisageable de procéder à une sélection des candidats qui s’inscrivent aux différents programmes en enseignement et donc de contingenter les programmes ?

Ne serait-il pas impératif que la formation universitaire s’adapte rapidement autant au niveau des nouvelles technologies que de la recherche en éducation et qu’elle reste à l’affût des besoins du milieu ?

Une formation de 1er cycle est-elle suffisante  pour développer les nouvelles compétences attendues dans la perspective des nouvelles tâches demandées aux enseignants d’aujourd’hui ?

Ne serait-il pas envisageable, un peu comme les médecins, d’obtenir un droit de pratique ou un brevet d’enseignement temporaire de quelques années exigeant la poursuite d’études pour compléter la formation ?

La formation universitaire ne devrait-elle pas favoriser davantage les résultats de la recherche en éducation pour la mettre à profit auprès des élèves/étudiants afin de présenter les pratiques les plus efficaces en matière d’apprentissage, par exemple en ce qui à trait à la neuroéducation ?

Les nouveaux enseignants ne devraient-ils pas bénéficier d’un accompagnement obligatoire lors des premières années d’enseignement ?

 

Au delà de la professionnalisation du métier, la loi sur l’instruction publique énonce quelques devoirs des enseignants dont :

Obligation de l’enseignant de prendre des mesures appropriées qui lui permettent d’atteindre et de conserver un haut degré de compétence professionnelle.

LIP Art 22 – 6°

 

Ne serait-il pas pertinent de développer des programmes universitaires de formation continue, mieux adaptés aux horaires des enseignants en poste et en partenariat avec les institutions scolaires ?

 

En conclusion

Je reviens sur l’élément le plus important de mon allocution :

La qualité des enseignants est le premier levier d’amélioration de l’efficacité des systèmes d’éducation.

Il faut donc former la relève tout en assurant la formation continue des enseignants. Je crois que dans ces deux aspects, l’université se doit de jouer non seulement un rôle de premier plan, mais surtout d’assurer la qualité de la formation.

Une question pour terminer … les derniers états généraux en éducation de 1996 ont mené à la fameuse réforme de 2000 qui, loin d’être parfaite, comportait des éléments innovateurs pour l’époque et qui ont fait l’objet de nombreux débats et critiques. Aujourd’hui, à peu près tous les systèmes éducatifs sont en transformation et s’articulent autour du développement de compétences et plus particulièrement ce que nous appelions les compétences transversales et qui aujourd’hui portent le nom de  compétences du 21e siècle.

À la lumière des changements depuis 15 ans, une autre réflexion ne s’imposerait-elle pas aujourd’hui en matière de système éducatif ?

Sebastien Stasse

Une réflexion au sujet de « La formation initiale des enseignants, 50 ans après le rapport Parent »

  1. Ton commentaire est vraiment intéressant et soulève non seulement les problèmes actuels, mais aussi les pistes envisageables afin que la formation des enseignants soit en adéquation avec l’éducation moderne. Espérons que le Ministère en ait écho 🙂

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