En route vers l’école du futur

EN ROUTE VERS L’ÉCOLE DU FUTUR

Par Anne Caroline Desplanques, 2011

(Article paru dans le Journal de Montréal)

Adieu vieux manuels abîmés et photocopies! Tous les élèves sud-coréens auront bientôt une tablette numérique. Le ministère de l’Éducation de la Corée du Sud a annoncé, cet été, qu’il consacrera 2 milliards de dollars à la numérisation des manuels aux niveaux primaire et secondaire, d’ici 2015. Au Québec, le gouvernement a plutôt promis, en février, un tableau blanc interactif (TBI) par classe et un ordinateur portable par enseignant. Certaines écoles d’ici tracent cependant déjà la voie du tout numérique. École Branchée a poussé la porte de ces classes du futur.

Dans la classe de 6e année de Pierre Poulin, à l’école publique Wilfred-Bastien de Saint-Léonard, dans le nord-est de Montréal, il n’y a ni pupitres en rang d’oignon, ni tableau noir, ni papier. Depuis septembre 2009, les élèves travaillent assis à des tables rondes et, en plus d’un TBI, ils ont chacun leur ordinateur portable. Soutenu par la directrice, Isabelle Massé, Pierre Poulin a inspiré l’ouverture de deux autres classes du genre, des iCl@sses, et, cette année, des iPad sont venus compléter la boîte à outils.

À l’école privée Alex Manoogian, également à Montréal, le tout numérique n’est pas encore une réalité, mais le processus est en cours. L’établissement s’est doté d’ordinateurs portables il y près de dix ans et a commencé à introduire les iPad dès l’année dernière. Un tiers des enseignants y utilisent la technologie quotidiennement. Pour le directeur, Sébastien Stasse, le numérique n’est pas une option: «Nous formons des enfants pour le futur, pour des emplois qui n’existent même pas encore, c’est notre responsabilité de suivre l’évolution technologique pour qu’ils soient en phase avec l’avenir».

Une tablette par élève, oui, mais seulement si le projet est supporté par une vision pédagogique, insiste Sébastien Stasse, directeur de l’école privée Alex Manoogian. «Plusieurs écoles privées utilisent les iPad comme des outils de marketing pour attirer les parents, mais derrière la vision commerciale, il n’y a pas de vision pédagogique», déplore-t-il.

En effet, parmi les enseignants qui encouragent l’usage des technologies de l’information et des communications (TIC)  en classe, «peu ont instauré des approches pédagogiques et mettent cet instrument de l’avant en tant que véritable levier à l’acquisition de nouveaux savoirs et savoir-faire plutôt que comme un « super crayon » de 1000 dollars», note le Centre francophone d’informatisation des organisations (CEFRIO) dans son étude Génération C (jeunes nés entre 1984 et 1996), parue en mai dernier.

«Souvent l’erreur que l’on fait est de vouloir transposer nos pratiques existantes sur de nouveaux outils, mais il faut changer nos pratiques. Les nouvelles technologies ouvrent à l’innovation pédagogique», explique François Guité, du Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTREQ), en s’appuyant sur les théories de Marshall McLuhan. Dès les années 1960, ce théoricien de la communication canadien estimait que les technologies faisaient sens par elles-mêmes et non pas par le contenu des messages qu’elles transmettent («le médium, c’est le message»). Elles modifient ainsi nos façons d’être, de penser, d’apprendre et de concevoir le monde.

L’apprentissage actif

Héritier de ce courant de pensée, Pierre Poulin, enseignant en 6e année et promoteur des iCl@sses à l’école Wilfred-Bastien, estime qu’en s’appuyant sur le numérique, l’enseignant peut optimiser le temps d’attention de l’élève en lui livrant l’essentiel de la matière, puis en lui donnant la responsabilité d’aller plus loin. «On donne toujours des leçons de grammaire ou de poésie, mais, au bout de leurs doigts, les jeunes ont accès instantanément à une foule de choses pour enrichir ce qu’on leur explique, mettre des images et des références autour», explique -t-il.

En tirant profit des technologies, l’élève cherche l’information, l’échange, l’organise en collaborant avec ses camarades, et génère de nouveaux contenus. Ce faisant, il crée des liens et mémorise la matière. Cependant, permettre à l’élève d’avancer de la sorte implique un changement de mentalité professorale, insiste Pierre Poulin.

Accepter de perdre la vedette

Dans une classe numérique, l’enseignant doit arrêter de se considérer comme la vedette de la classe et se voir plutôt comme un guide qui prend l’enfant par la main dans son cheminement d’apprentissage, croit-il. Même son de cloche de la part de la professeure Thérèse Laferrière de l’Université Laval, directrice du Centre de recherche et d’intervention sur la réussite scolaire. Pour elle, l’enseignant doit devenir un porteur ou un générateur de sens.

«À lui d’indiquer la façon de consulter des sources dans un domaine précis et d’en faire usage avec discernement, de se servir d’instruments numériques spécialisés, de faire preuve d’une compréhension approfondie d’un objet d’apprentissage en le situant dans un contexte», écrit-elle dans l’étude Génération C du CEFRIO. Pour ce faire, l’enseignant, comme l’élève, n’est pas seul. L’univers de connaissance qui entre dans la classe grâce au numérique est aussi composé d’autres élèves, d’autres enseignants et d’experts en tout genre.

Les communautés d’apprentissage

Ce fameux «village global», décrit par Marshall McLuhan près de 20 ans avant l’avènement d’Internet, stimule l’apprentissage, observe François Bourdon qui enseigne dans une iClasse de 4e année à l’école Wilfred-Bastien. «Un élève peut s’en ficher d’écrire une appréciation sur une œuvre littéraire pour son prof, mais s’il doit l’envoyer par courriel à un autre élève à l’autre bout du monde et que celui-ci lui répond, là, ça change tout», explique-t-il.

Dans cet esprit, Pierre Poulin a déjà improvisé une conférence téléphonique avec un expert en glace noire pendant une leçon de science. «Les élèves avaient des tonnes de questions. J’avais beau en mettre et animer la classe, je n’avais pas réponse à tout. C’était frustrant pour eux et pour moi. Alors les enfants ont cherché un scientifique sur Internet et il a pu répondre à toutes leurs interrogations. Grâce à la technologie, on n’est plus prisonnier de notre géographie.»

 

Le iRacrochage

Deux élèves québécois sur cinq ne terminent pas leur secondaire en cinq ans et un tiers des jeunes de 20 ans n’ont pas de diplôme secondaire. Ils ont décroché avant. Les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont un remède mis de l’avant par la Commission scolaire de Montréal (CSDM) pour lutter contre ce phénomène. Le tout numérique est cependant loin d’être une réalité. Il y a un réel décalage entre l’environnement technologique des jeunes à la maison et celui qui prévaut à l’école.

Déjà en 2008, 91% des jeunes nés entre 1984 et 1996 avaient accès à Internet haute vitesse à la maison,  selon une enquête du Centre francophone d’informatisation des organisations (CEFRIO). En plus, d’après cette étude, 84% possédaient un lecteur de type MP3, 64% détenaient un ordinateur de bureau, 39% un portable et 57% un téléphone cellulaire. Pourtant, des directions et des enseignants se demandent encore s’il faut interdire l’accès à Facebook, voire même à Internet, durant les cours, pour protéger les élèves des distractions, note le CEFRIO dans son étude Génération C (jeunes nés entre 1984 et 1996) parue en mai dernier

Enthousiasmant

Bien exploitées, les TIC sont pourtant loin d’être des empêcheuses d’étudier en rond, selon François Bourdon, qui enseigne en 4e année à l’école Wilfred-Bastien dans une iCl@sse. Ses iÉlèves ont le droit d’apporter leurs appareils mobiles en classe et de surfer sur Internet. Il doit pourtant les obliger à abandonner leurs travaux pour sortir à l’heure de la récréation, tellement ils sont absorbés. «Mes élèves ne vont pas sur Facebook et YouTube pendant la classe, ils n’ont pas le temps parce qu’ils sont engagés dans leur apprentissage», explique-t-il.

«Nous avons des parents d’élèves qui nous disent qu’avant, il fallait qu’ils se battent avec leurs enfants pour qu’ils aillent à l’école quand ils n’étaient pas malades, et que, maintenant, ils doivent les forcer à rester à la maison quand ils le sont», complète son collègue Pierre Poulin. En revanche, dans la classe conventionnelle d’une de ses collègues, c’est l’inverse. «Elle a dit à mes stagiaires qu’elle ne voyait plus  l’émerveillement d’apprendre dans les yeux de ses élèves, alors que les miens sont constamment emballés», raconte-t-il, soulignant que, malgré son succès, la technologie fait encore peur.

Intuitif

Selon François Guité, du Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTREQ), «la perception de retard numérique ressentie par les enseignants, particulièrement vis-à-vis des jeunes, explique en partie leur résistance à l’utilisation des TIC en classe». Cependant, selon lui, l’introduction de l’iPad pourrait changer la donne. «Je suis d’avis que plusieurs enseignants feraient l’expérience du iPad, sachant qu’ils se situent à la même case départ que les élèves», indique-t-il

Sébastien Stasse, directeur de l’école privée Alex Manoogian, est du même avis. «L’iPad est plus intuitif que l’ordinateur, autant pour les élèves que pour les enseignants, et tout le monde débute. Donc, c’est un outil qui pourrait permettre à plusieurs de rattraper leur retard technologique.» Les tablettes numériques pourraient donc devenir un remède au décrochage des élèves, mais aussi au décrochage technologique des enseignants. Toutefois, leur introduction doit être accompagnée de sessions de formation.

Impératif formation

«Pour mieux outiller les jeunes face à l’avenir, il faudra généraliser l’usage des TIC dans les salles de classe, mais aussi apporter des ajustements majeurs à la formation des éducateurs, à l’organisation de leur travail et au mode de fonctionnement dans le monde de l’enseignement», préconise le CEFRIO.

Or, le temps et les moyens manquent pour la formation des enseignants, déplore Pierre Poulin qui complète justement un doctorat portant sur le transfert de connaissance et les TIC. «Dans le domaine privé, les employeurs paient des journées de formation à leurs employés pour qu’ils soient au fait des dernières innovations dans leur domaine. En enseignement, non. Il faut que tu ailles faire une maîtrise ou un doctorat ou que tu prennes sur tes vacances, si tu veux aller plus loin», complète son acolyte François Bourdon.

Pour remplir ce vide, les deux enseignants organisent avec quelques collègues, dont Sébastien Stasse et leur directrice Isabelle Massé, le premier Edcamp (camp d’éducation) en français au Québec. Ils ouvriront les portes de leurs écoles le 1er novembre pour partager et échanger des idées et des pratiques innovantes en éducation.

Alors, magique l’iPad?

Dès 1972, l’informaticien américain Alan Kay rêvait d’équiper chaque enfant d’un ordinateur portable à usage créatif. À l’époque déjà, son prototype, le Dynabook, était une tablette numérique. Au moment du lancement de premier iPhone en 2007, l’informaticien estimait que, doté d’un écran plus grand, cet appareil serait un chef de file.

Plus petit, plus convivial, plus intuitif, et moins cher qu’un ordinateur, l’iPad a de quoi séduire les institutions scolaires. «Les élèves peuvent les utiliser pour faire 60% de ce qu’ils font sur ordinateur. Ce sont d’excellents supports pour les outils de référence, les dictionnaires et encyclopédies, et de bons exerciseurs parce qu’ils ont un côté ludique que n’a pas un simple cahier. Ils sont aussi très bien pour créer du contenu, des contenu interactifs et partageables», explique le directeur de l’école privée Alex Manoogian, Sébastien Stasse.

Cependant, s’il marche bel et bien sur les traces du Dynabook, l’iPad a encore du chemin à faire pour être vraiment magique. Les férus de technologies lui reprochent en effet son environnement propriétaire strictement contrôlé par Apple et son peu de compatibilité avec les autres systèmes d’exploitation.

Ceci est un inconvénient important, car «l’éducation doit défendre les principes d’ouverture et de liberté d’action» estime François Guité, du Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTREQ). Il met donc en garde contre le développement d’une dépendance à l’égard d’Apple. «Devenir captif d’Apple nous amènerait à développer des compétences rattachées à l’outil et à créer une nouvelle fracture technologique à mesure que la technologie avance», prévient-il.

Précurseur sur le marché des tablettes, Apple tient pour le moment le haut du pavé et se présente encore comme la seule option pour les écoles. Ainsi, Media Briefing estime que 48 millions de iPad seront vendus cette année. Toutefois, les tablettes développées à partir du système d’exploitation mobile  Android, un environnement ouvert créé par Google, devraient leur voler la vedette d’ici deux ans, prévoit la firme de consultants en technologie.

Dans ce contexte, François Guité recommande aux écoles d’adopter la politique du «bring your own device», prévoyant de permettre à chaque élève d’apporter son propre outil, qu’il s’agisse d’un iPad ou d’un autre support.

Outiller le cartable numérique

L’Apple Store offre des milliers d’applications réservées à l’éducation. École Branchée vous propose une petite sélection pour outiller le cartable numérique:

⁃    Antidote Ardoise, par Druide Informatique

Une application de référence faite au Québec contenant onze dictionnaires et onze guides linguistiques qui couvrent tous les aspects de l’écriture, de l’orthographe au style en passant par la grammaire, la ponctuation et l’historique.

⁃    Dropbox, par Dropbox

Service gratuit de stockage et de synchronisation de fichiers permettant, de partager des fichiers et d’afficher les fichiers Office, iWork et PDF ainsi que les fichiers audio et vidéo, mais aussi de modifier les fichiers Office et iWork directement dans Pages, Keynote et Numbers.

⁃    Les tables de multiplication avec Gulli, par Anuman

Une application idéale pour apprendre les tables de 1 à 15, permet de mémoriser, de s’entraîner et de tester ses connaissances en s’amusant.

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