La tablette à l’école privée

La tablette à l’école privée

Par Anne Caroline Desplanques, 2013

(Article paru dans le Journal de Montréal)

Adieu stylos et cahiers Canada, en 2012, plus de 5000 jeunes Québécois étaient équipés d’un iPad. C’est peu, sachant qu’il y a près d’un million d’enfants et d’adultes sur les bancs de l’école, mais le chiffre gonfle vite: plus de 15 000  élèves ont un iPad cette année, au privé essentiellement. En font-ils bon usage?

Depuis deux ans, Colin n’a plus de livres dans son sac à dos. Il a un iPad. Sa vie à l’école a changé du tout au tout, pour le meilleur.

«Il est tellement moins perdu, tellement plus heureux, tellement plus confiant», se réjouit sa mère, Suzanne Lortie, professeure à l’UQAM.

Colin étudie dans une école privée, au Collège de Montréal, où la tablette numérique a été introduite l’année dernière. Loin de la plume fontaine à laquelle sa maman était cantonnée au Collège Marie de France, l’adolescent a un clavier presque greffé au bout des doigts et une foule d’autres applications.

En classe d’éthique et de culture religieuse, Colin et son équipe ont par exemple réalisé un vidéo-clip sur l’intimidation, à partir du jeu ­Minecraft qui permet de créer des univers virtuels.

LE COÛT EN VAUT LA CHANDELLE

Comme plusieurs autres écoles privées, le Collège de

Montréal a choisi le modèle un élève-un appareil (tablette ou ordinateur portable). Dans tous ces cas, c’est aux parents de payer la note.

Pour Mme Lortie, le coût en vaut la chandelle: «Oui, le iPad est un objet qui coûte cher, mais les enfants vont vivre dans cet univers-là plus tard. Il faut leur apprendre dès maintenant à se positionner dans tout ça.»

MOT CLÉ : PÉDAGOGIE

À l’École Alex Manoogian, dédiée à la communauté arménienne, il est toutefois hors de question d’imposer l’achat d’un appareil aux parents, dont beaucoup sont des réfugiés fraîchement débarqués.

Directeur de l’établissement, Sébastien Stasse rejette même le modèle un enfant-un appareil. Pour lui, trop d’établissements font des technologies des outils de marketing pour attirer les parents. «Ce n’est pas une question d’argent. C’est une question de pédagogie», dit-il.

Dans son école de Ville-Saint-Laurent, les quelque 300 enfants ont le même ­cartable qu’il y a 20 ans. Mais dans les corridors, les charriots chargés d’ordinateurs portables et de tablettes circulent de classe en classe toute la journée.

«Ici, on n’intègre pas la technologie, on la mobilise. Si l’enseignant trouve que ça l’aide dans sa matière du jour, il l’utilise», explique M. Stasse.

«En éducation, les recettes mur à mur, ça ne marche pas», conclut le directeur.

RÉUSSITE DOPÉE PAR LA TABLETTE

L’introduction des tablettes a dopé la motivation des étudiants et leurs résultats scolaires, selon le Collège de Montréal.

«On a remarqué une plus grande ­richesse dans les travaux et plus ­d’engagement dans l’apprentissage. Les élèves passent plus de temps à étudier», explique Anne-Marie ­Poirier, directrice des services pédagogiques de l’établissement.

Avant d’imposer un iPad à tous à la rentrée 2012, le Collège de Montréal a fait l’expérience d’un ordinateur portable par élève dans une classe par niveau pendant 10 ans. À l’usage, les iPad se sont révélés plus simples d’utilisation d’où le virage Apple, indique la pédagogue. Cela a forcé les enseignants à changer leurs méthodes.

«Maintenant, on met les élèves en action constamment. On ne peut plus faire un cours magistral, explique Mme Poirier. ­L’enseignant est devenu un chef d’orchestre qui guide les élèves.» Pour elle, cette révolution a changé la vie des jeunes qui refusent maintenant d’être passifs dans l’apprentissage.

DISTRACTION

Aucune étude scientifique n’a toutefois démontré hors de tout doute que les tablettes sont synonymes de ­réussite scolaire, soulignait Thierry Karsenti, professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Montréal, lors du premier Sommet sur l’iPad en éducation en mai dernier.

Après avoir étudié 6000 élèves et 300 professeurs d’ici, M. Karsenti a ­remarqué un intérêt accru pour la lecture grâce aux tablettes. En mathématique, la visualisation sur l’écran favoriserait également la compréhension.

Mais le principal constat du chercheur est plutôt que l’appareil est une source de distraction majeure.

Mme Poirier l’admet: «L’an dernier, ça a été le 25 décembre pendant quelques mois. Les jeunes étaient sur les jeux et les réseaux sociaux.» Elle refuse toutefois la coercition. «En fermant le wi-fi ou en bloquant les réseaux sociaux et les jeux, on passerait à côté de quelque chose. On brimerait l’innovation et la créativité, ­insiste-t-elle. On a fait le pari de les éduquer et, cette année, c’est complètement différent. L’attrait de la nouveauté s’est estompé.»

Pour Mme Poirier, la clé de la réussite est dans l’accompagnement et la formation des professeurs, mais aussi des parents. Pour s’assurer que ceux qui sont sur la défensive soient partie prenante de l’aventure, le Collège de Montréal a offert deux soirées d’information à la rentrée.

«Il faut s’assurer que les enseignants et les parents sont solidaires, sinon ça ne peut pas fonctionner», dit la pédagogue.

LE RÉSEAU PUBLIC : L’ENFANT PAUVRE

Deux commissions scolaires du Québec ont pris le virage ­tablette. Parmi les 72, elles ­demeurent des exceptions dans le réseau public. Et malgré quelques projets pilotes novateurs ici et là, dans la majorité des écoles publiques, on en est encore à s’interroger sur le ­tableau blanc numérique (TBI).

En février 2011, le gouvernement libéral promettait un TBI par classe, au primaire et au ­secondaire, d’ici 2016. Le projet, qui devait coûter 240 M$ sur cinq ans, a finalement été mis sur la glace par le gouvernement péquiste.

GROS RÉTROPROJECTEUR

L’appareil est loin de faire l’unanimité. En fait, 86% des enseignants y voient plutôt des désavantages, selon une étude à paraître ­réalisée par des chercheurs de l’Université de Montréal. Trop petits, souvent en panne, les TBI sont la plupart du temps utilisés comme de gros rétroprojecteurs.

«Le TBI permet à l’enseignant de donner un show, d’être plus intéressant. Il donne un avantage de vitesse puisqu’on peut passer rapidement d’un sujet à l’autre et approfondir grâce à ­Internet. Mais on ne peut pas faire ça sans formation», explique Carl Malartre, président de Scolab, développeur de la très populaire application Netmaths.

Une réflexion au sujet de « La tablette à l’école privée »

  1. Ping : La tablette à l’école privée, quelques précisions » In scholam - Pédagogie, technologie et administration scolaire

Commenter

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s