À ne pas avoir pris le bateau, on nage pour le rattraper …

Il aura fallu une crise comme celle du COVID-19 pour que je consacre du temps à me relancer dans l’écriture d’un article de blogue … le premier depuis plus de … 19 mois. La mention sur Twitter d’une phrase échangée lors d’une discussion d’équipe au CADRE21, et partagée par mon collègue @zecool, aura été la bougie d’allumage (positive) de ce nouveau saut.

Lundi 21 avril 2020 – Twitter

La citation me semblait en effet mériter une mise en contexte afin de  préciser à quel bateau je faisais allusion …

Crise COVID-19 et numérique

Qui aurait pu prévoir qu’un jour le milieu de l’éducation, de tous les ordres d’enseignement confondus, soit contraint de recourir à des outils de visioconférence pour communiquer avec ses élèves et ses étudiants ? Qui aurait cru que le dépôt de travaux en ligne, ou qu’un portail gouvernemental (lancé en quelques semaines) eut été nécessaire pour assurer une forme de continuité pédagogique ? Qui aurait même pensé que des enseignants communiqueraient par téléphone avec leurs élèves avec leur téléphone personnel, de leur lieu de résidence pour prendre des nouvelles des enfants et adolescents afin d’assurer un lien avec l’école ? Qui aurait pu prévoir un retour à l’école optionnel pour les élèves, avec des groupes réduits et, au Québec, avec une 3e étape d’une année scolaire, comptant habituellement pour 60% du bulletin scolaire, facultative et sans évaluation sommative (en date d’aujourd’hui)?

Dans de tels contextes, le recours au numérique, à des stratégies pédagogiques adaptées à son usage et à des approches pédagogiques variées deviennent incontournables. D’une part, pour assurer une continuité pédagogique (site Web, courriel, visioconférence, capsules vidéo, etc. ), d’autre part, au niveau postsecondaire au Québec, pour poursuivre les apprentissages à distance.

Une fin de session réaménagée pour ma prestation d’enseignement «en ligne» avec les étudiants du cours GED 840 à l’Université de Sherbrooke (programme de 2e cycle en gestion de l’éducation).

Dans ce contexte, il me semble injuste d’opposer les enseignants, chargés de cours et professeurs qui mobilisaient déjà la technologie dans leurs cours à ceux qui ne le faisaient pas et conclure que ce sont ces derniers qui ont manqué le bateau au vu de la crise actuelle. Ce n’est pas nécessairement parce qu’on maîtrise ou qu’on mobilise des outils technologiques qu’on est en mesure de faire de l’enseignement à distance ou en ligne. La plus grande erreur, dans tous les ordres d’enseignement, serait d’appliquer les mêmes préparations de cours et les mêmes stratégies pédagogiques élaborées pour du présentiel à un enseignement en ligne ou à distance. Je parle donc d’un autre bateau.

L’effet diligence

En septembre 2010, quelques mois après le lancement du iPad par la compagnie Apple, j’ai eu la chance d’expérimenter six de ces machines dans mes classes du primaire et du secondaire. À l’époque, on reprochait beaucoup de choses à ce nouveau type de machine à qui on voulait faire faire la même chose qu’un ordinateur de bureau. On reprochait à la tablette ses limites en la comparant à l’ordinateur. Lors d’une présentation de mon expérimentation, ainsi que de mon enthousiasme, au congrès de l’AQUOPS en avril 2011, j’avais alors abordé l’effet diligence et illustré le tout par une planche de bande dessinée d’Hergé datant de 1940, issue de mes lectures d’enfant dans les années 1980.

Avec humour, Hergé illustrait alors qu’avec un nouvel outil (un aspirateur), on avait parfois tendance à reproduire les actions que l’on connaissait (battre un tapis), plutôt que d’adopter une nouvelle « posture » d’utilisation. Cet « effet diligence » , en référence à l’adaptation des diligences pour en faire des wagons de train, a été attribuée à Jacques Perriault dans les années 2000. L’arrivée du iPad me semblait donc exiger un changement des usages habituels du numérique et le caractère novateur de cet outil demandait donc un changement de posture.

« Eh bien ! Flupke, tu peux dire ce que tu veux mais je préférais encore ma raquette … »

Quel lien avec le bateau ? La crise que nous traversons est historique. L’urgence crée l’obligation de faire autrement et le sentiment d‘urgence est un levier connu pour mener les gens ou des organisations à « accepter » de faire des changements (Biehl, 2007). La situation actuelle est inédite et demande de s’adapter à une nouvelle  réalité et donc de faire les choses différemment. Bref, depuis le début de cette crise, ce qui permet d’aborder la situation dans de meilleures dispositions, ça n’est pas tant d’avoir pris le bateau du numérique que d’avoir pris le bateau de la posture de développement professionnel au cours des dernières années.

Une gymnastique professionnelle

La courbe d’apprentissage pour s’approprier de nouveaux outils numériques ainsi que différentes approches pédagogiques pour les utiliser est nettement plus ardue si on n’a pas adopté une posture de veille, d’expérimentation ou ne serait-ce que d’intérêt, au cours des dernières années, envers le numérique et les stratégies d’enseignement en général. Cette notion de posture n’implique pas nécessairement la maîtrise d’outils ou de nouvelles stratégies pédagogiques, mais plutôt d’être resté à l’écoute des possibilités et peut-être d’en avoir expérimenté, même à très petite échelle, dans un contexte personnel ou professionnel. Ce n’est pas tant de savoir utiliser un outil de visioconférence que d’avoir déjà trouvé un tutoriel sur le Web pour apprendre seul à utiliser un service ou un logiciel. Ce n’est pas tant de savoir comment publier sur un site Web ou le portail de l’école que d’avoir déjà utilisé et configuré des documents collaboratifs. Ce n’est pas tant que de savoir annoter des documents numériques que d’avoir expérimenté la rétroaction dans une visée formative. 

Ainsi, au-delà des outils, c’est la gymnastique permettant d’apprivoiser de nouvelles approches, stratégies et ressources pédagogiques qui peuvent inclure le numérique qui permet de réinvestir des apprentissages et, par conséquent, de s’approprier plus facilement de nouveaux outils sans avoir le sentiment d’avoir à prendre les bouchées doubles en peu de temps. Le cas du numérique est particulier puisque l’évolution est tellement rapidement qu’il est facile de s’y perdre.

Le développement professionnel ou la formation continue, de tout type et de toute forme pour tous les ordres d’enseignement, permet d’alimenter une posture de veille et d’entretenir cette gymnastique professionnelle. Cette posture est aujourd’hui plus que jamais incontournable et il revient à chaque enseignant et professeur d’identifier des aspects de sa pratique à cibler et à développer. La crise prendra fin, souhaitons que les nouveaux apprentissages réalisés dans l’urgence puissent contribuer à bonifier les pratiques futures, mais je souhaite surtout qu’il s’agisse d’une occasion pour valoriser un peu plus le développement professionnel au sein de l’ensemble de la profession enseignante.

Du temps

Depuis la fin des cours, annoncée par le gouvernement à la mi-mars, la plateforme du CADRE21, qui offre de la formation en ligne au personnel éducatif, a connu une augmentation fulgurante de nombre d’inscriptions, mais surtout du nombre d’attestations de réalisation de formations. Les chiffres de mars et d’avril 2020 sont l’équivalent de ceux des six mois précédents. C’est à mon avis le signe que si les enseignants disposent de temps, ils sont en mesure de l’investir dans leur développement professionnel. C’est en ce sens que la valorisation de la formation continue passe nécessairement par une reconnaissance de temps et par une différenciation de l’offre s’adaptant aux besoins de chaque enseignant.

À quand le prochain départ de bateau ?

Si les examens ministériels sont annulés, que les classes sont à effectifs réduits au primaire et que l’objectif, d’ici la fin de l’année, est surtout de consolider des apprentissages déjà réalisés, il s’agit peut-être d’une opportunité pour explorer et expérimenter différents outils numériques et stratégies pédagogiques, sans la pression d’un contenu à couvrir. Pour le secteur postsecondaire, le passage à une fin de session d’hiver et à une session d’été entièrement à distance nécessite déjà de faire autrement … et les offres de « crash course » sur l’enseignement à distance sont nombreuses !

Bien hâte de voir ce que nous réservera la rentrée …

Sébastien Stasse

Biehl, M. (2007). «Success Factors for Implementing Global Information Systems», Communication of the ACM, vol. 50, no 1, p. 53-58.

Hergé (1987). Quick et Flupke (8) : Vive le progrès. Casterman.

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