Un récent article du Journal de Montréal « La tablette à l’école privée » me citait suite à une entrevue téléphonique avec la journaliste Anne-Caroline Desplanques. Comme c’est souvent le cas, une conversation d’une vingtaine de minutes qui finit par quelques lignes dans un article selon l’angle traité et l’impossibilité de voir l’article avant sa parution. Dans le passé, Mme Desplanques m’avait déjà interviewé alors que nous explorions l’utilisation pédagogique des iPad dans nos classes du primaire et du secondaire. Nous étions alors aux balbutiements des tablettes en éducation et notre école avait choisi d’explorer ces nouveaux outils. L’article « En route vers l’école du futur » traduisait alors très bien notre réflexion autour de ces nouveaux outils.
À la lecture du récent article, je me suis rendu compte que quelques éléments importants de nos échanges n’ont malheureusement pas été cités. Voici donc quelques précisions qui, je crois, permettront de nuancer un peu mes propos cités dans cet article.
Nouveaux arrivants
Le premier élément est que notre clientèle n’est pas constituée de « beaucoup » de nouveaux arrivants, nous avons une classe d’accueil d’une vingtaine d’élèves en francisation qui proviennent d’Irak, de Syrie ou d’autres régions du Moyen-Orient sur un total de près de 250 élèves. Par contre, il est vrai que ces familles n’ont pas nécessairement les moyens de fournir une tablette à leurs enfants, d’où l’importance pour l’école de s’assurer que ces élèves ne seront pas défavorisés par rapport à l’accès et à l’utilisation de la technologie. De plus, près de la moitié de nos parents ne paient pas les frais de scolarité prévus, et n’ont donc certainement pas les moyens de défrayer le coût d’un appareil mobile. La survie de notre école est assurée grâce à l’aide financière de la communauté arménienne, principalement par l’entremise de l’Union Générale Arménienne de Bienfaisance (UGAB).
Le rejet du modèle « un pour un » ?
L’autre élément est que je suis convaincu que les tablettes, ou a tout le moins les futurs appareils mobiles, seront les prochains cartables numériques de nos enfants. Je suis donc loin de rejeter totalement le modèle du « un pour un » comme mentionné dans l’article. À mon avis, c’est tout simplement incontournable à moyen terme. Par contre, ce que je questionnais lors de nos échanges avec la journaliste concernait plus particulièrement les investissements nécessaires pour mettre actuellement en place un tel modèle. Pour les établissements d’enseignement privés qui se sont lancés dans l’aventure, tous refilent actuellement la facture directement aux parents en imposant souvent un modèle de machine uniforme pour tous. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle les écoles privées sont les précurseurs dans le domaine du « un pour un », étant donné qu’elles sont en mesure « d’imposer » ce genre d’achat à leur clientèle. Certaines commissions scolaires se sont aussi lancées dans quelques projets pilotes, dont la CS de Sorel, mais on peut comprendre que pour des raisons financières, il n’est pas question pour le moment d’étendre le modèle à l’ensemble des élèves. Les écoles privées sont donc aussi les premières à utiliser massivement les manuels numériques des maisons d’édition, avec le lot de défis que comporte le fait d’être des pionniers. Bref, ces institutions ouvrent présentement la voie vers ce qui deviendra probablement la norme dans quelques années.
Éviter la fracture numérique
Pour certaines écoles privées communautaires (et évidemment pour tout le secteur public) qui, comme nous, desservent une clientèle qui n’a pas nécessairement les moyens d’envoyer ses enfants au privé, le défi reste plus grand. Comment donc arriver à munir chaque élève d’un appareil mobile en tenant compte de la capacité de payer de chaque famille? Notre institution apprivoise donc depuis maintenant 3 ans le « BYOD » (en anglais Bring Your Own Device) en permettant aux élèves d’apporter leur propre appareil en classe, peu importe la technologie. Cette approche a le grand avantage de permettre aux élèves de travailler avec l’outil qu’ils ont, en plus de limiter l’achat d’appareils par notre établissement. Des appareils sont évidemment disponibles pour les élèves qui ne possèdent pas leur propre appareil. Cette formule permet de diminuer l’investissement pour l’école en matière de « quincaillerie », surtout qu’elle sera sans doute désuète après 3 ans. La preuve, les premiers iPad n’ont pu supporter les 2 dernières versions du nouveau système d’exploitation… on parle d’ici d’un appareil d’à peine 5 ans! Dans une perspective d’avenir, il y a fort à parier que ces appareils seront plus abordables.
Mobiliser la technologie sur de multiples plateformes
Cette approche ouvre la porte à une tout autre façon de voir la production de contenu par les élèves où ce qui importe avant tout ce sont les exigences pédagogiques de ce que doit être la production finale demandée aux élèves plutôt que la forme ou l’outil à utiliser. Libre à eux d’utiliser Word, Pages ou Open Office pour réaliser une production écrite, peu importe qu’ils utilisent Chrome, Safari ou Firefox pour accéder à Internet, l’important pour l’enseignant c’est que les attentes pédagogiques en matière de savoir, ou de savoir-faire soient atteintes.
De toute façon, dans quelques années, les élèves devront inévitablement s’adapter à un autre système d’exploitation ou encore à un autre type d’appareil que celui d’aujourd’hui. Pourquoi ne pas déjà leur offrir l’opportunité de développer ce genre de compétences et d’exploiter l’appareil qu’ils ont à des fins d’apprentissage? Quant à l’enseignant qui se retrouve avec une ribambelle de machines, de toute façon, il ne lui est déjà plus possible depuis plusieurs années de maîtriser parfaitement l’ensemble d’un système ou d’un logiciel, tellement les choses changent vite. Et si on voyait ce modèle dans l’optique où les enseignants se concentraient sur la pédagogie, et qu’on laissait aux élèves le soin de mobiliser la technologie? De toute façon, ces derniers ont un avantage sur nous, ils ont du temps!
Finalement, le développement des manuels scolaires numériques est un autre signe que le modèle technologique du « un pour un » est inévitable en matière d’éducation. Pour que chacun ait son manuel numérique personnalisé, encore faut-il qu’il ait un outil pour le consulter et l’enrichir. Le plus grand défi en éducation sera sans doute de s’assurer qu’aucun enfant ne sera laissé pour compte dans ce modèle « un pour un »et que les institutions sauront trouver les ressources ou les moyens pour suivre la cadence.
Sébastien Stasse
Ajout 29 octobre – Merci à Marc Desgroseilliers directeur du 5e secondaire au Collège Saint-Sacrement qui me mentionnait, avec justesse, que la CS Eastern Townships avait mis en place un projet « un pour un » depuis plusieurs années. Un modèle unique au Québec que l’on doit à la vision du directeur général de l’époque, Ron Canuel, aujourd’hui président directeur général de l’ACE.
Pour la CS Eastern Townships, le 1:1 s’est vu diminuer en terme d’étendue au cours des derrières années, jusqu’à cette année ou après un an de dur labeur, l’équipe de la cS et moi-même avons repensé le projet qui reprend de façon permanente en équipant chaque élève d’un iPad, chaque enseignant d’un iPad et d’un MacBook Pro et ce avec les budgets existants, sans endettement, sur un cycle de 4 ans. Le projet pédagogique a été repensé avant de planifier le rôle de la technologie sous diverses formes. Mais ça prend une grande volonté et du leadership. La directrice générale actuelle Chantal Beaulieu a su mettre en place les bon éléments. Rien n’est parfait, mais ça bouge!
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