Notre petite école communautaire arménienne offre un programme d’accueil et de francisation extrêmement efficace à des immigrants et des réfugiés depuis maintenant plus de 6 ans. Les événements dramatiques qui ont eu lieu en Irak et en Syrie, et qui sont d’ailleurs toujours en cours, associés à l’intention du Canada d’accueillir de nouveaux arrivants dans les prochaines semaines nous incitent à entreprendre l’ouverture d’une deuxième classe de francisation dans notre établissement. Voici donc quelques aspects de notre programme ainsi qu’une certaine inquiétude face à l’arrivée prochaine de nouveaux réfugiés au Québec .
Origines du programme
Notre programme a vu le jour lors de l’arrivée d’une vague de réfugiés irakiens d’origine arménienne il y a de ça, plus de 6 ans déjà. L’organisme Hay Doun, oeuvrant dans l’accueil et le parrainage de ces familles, a alors entrepris des démarches auprès de notre établissement quant à la possibilité de recevoir cette clientèle spécifique.
Les deux premières années d’intégration de cette clientèle ont permis d’identifier certains éléments importants et nous ont conduits à revoir notre approche. L’accueil de ces élèves en classe régulière combiné à un accompagnement ponctuel en francisation (un modèle largement répandu au Québec) ne s’est pas avéré fructueux, côté académique, pour les enfants. D’une part, les enseignants ne disposaient pas de suffisamment de temps, dans une dynamique de grand groupe, pour aider de façon optimale les élèves intégrés. D’autre part, l’apprentissage de la langue française, dans ce contexte, pouvait s’étendre sur une période de plus de 2 ans causant ainsi très souvent des retards importants quant au cheminement scolaire des enfants, les menant, dans certains cas, en adaptation scolaire pour la poursuite de leurs études.
Toutefois, nous avons pu remarquer que la présence de repères culturels liés à la langue arménienne et à la culture offraient aux élèves un environnement propice à une intégration rapide au milieu. De plus, un soutien en langue d’origine était un atout extrêmement précieux autant pour accompagner les enfants dans des services spécialisés que pour assurer une communication efficace auprès des parents. Il restait donc à trouver un modèle assurant la francisation et la réussite des élèves.
Les fondations de notre programme
D’un modèle où les enfants étaient intégrés en classe régulière nous sommes passés, il y a 4 ans, à un modèle de classe d’accueil intensive multiniveau et multiâge.
Une enseignante spécialisée dans l’enseignement du français en langue seconde assure l’enseignement et collabore avec une monitrice de langue qui s’occupe des élèves débutant leur apprentissage du français. Une classe à effectif réduit ne dépassant pas 17 élèves, une organisation de classe dynamique favorisant le travail en équipe (tables, tabourets, bureaux) et une présence des technologies informatiques sont les principaux ingrédients assurant le succès de notre nouveau modèle. L’approche personnalisée et graduelle combinée à des ressources humaines adéquates visent à assurer l’intégration des élèves en classe régulière afin d’assurer leur réussite. La majorité des élèves intègre ainsi les classes régulières en moins de 18 mois en classe d’accueil avec un retard d’environ un an sur le cheminement académique régulier.
Les clés de réussite
Une enseignante passionnée qui souhaite s’investir et travailler avec cette clientèle est le premier gage du succès de ce type de classe. Il faut assurer une stabilité auprès de cette clientèle pour qu’elle n’ait pas à vivre une situation d’abandon dû au départ de l’adulte signifiant en cours d’année. L’encadrement et le milieu sécuritaire de l’environnement qui les accueille sont également des éléments importants pour ce type de clientèle qui a souvent vécu dans des conditions difficiles. La possibilité de s’exprimer dans leur langue est un atout important favorisant leur intégration, la communication avec les parents ainsi qu’avec tous les intervenants. Bon nombre d’études ont confirmé les avantages du maintien des langues d’origine dans le domaine de l’éducation. Il est notamment prouvé que cela aide les élèves à mieux s’adapter sur les plans social, affectif et scolaire à leur arrivée dans le pays hôte (Bhatnagar, 1980) en plus de les aider dans leurs aptitudes scolaires et leur développement cognitif (Danesi,1983; Swain et Lapkin, 1982; Wells, 1981). De plus, la souplesse de notre programme structuré permet de bien situer le niveau des enfants afin de leur assurer des apprentissages à la mesure de leur capacité. Finalement, l’organisation de la classe doit permettre de facilement passer d’un mode de travail individuel à un mode par équipe ou par atelier.
La structure financière
Notre école communautaire reçoit les subventions prévues pour les écoles privées. À ce montant s’ajoute la mesure particulière pour les élèves en francisation. Aucune autre mesure n’est prévue pour le secteur privé alors que le secteur public bénéfice d’au moins trois autres mesures leur permettant d’assurer l’intégration de cette clientèle. Vous comprendrez que ces nouveaux arrivants n’ont pas les moyens de payer les frais habituellement exigés pour la fréquentation d’un établissement privé. À cet égard, la communauté arménienne choisit, depuis le début du programme il y a 6 ans, de se mobiliser afin de combler ce manque à gagner et permettre aux enfants de fréquenter notre institution sans pour autant défrayer les frais de scolarité prévus.
En conclusion
Avec l’arrivée à très court terme à Montréal de plus de 600 familles syriennes et de près de 150 enfants entre 5 et 16 ans, notre institution s’interroge sur les ressources financières dont les établissements bénéficieront pour recevoir cette clientèle. En effet, les règles de financement du ministère de l’Éducation du Loisir et du Sport prévoient le versement des montants en fonction du nombre d’élèves inscrits au 30 septembre dans l’institution. Après cette date, aucune somme partielle de cette subvention n’est prévue pour des nouveaux arrivants. L’arrivée de réfugiés ne pouvant donc pas être planifiée avant le 30 septembre, il en résulte un manque à gagner important pour une petite institution comme la nôtre qui choisit d’accueillir cette clientèle, peu importe le moment de leur arrivée.
Notez que notre institution n’a jamais entrepris de démarche dans le passé pour obtenir un financement supplémentaire pour cette clientèle même après la date du 30 septembre. Aujourd’hui, devant le nombre important de nouveaux élèves qui sont attendus prochainement, nous nous questionnons sur le mode de financement actuel, autant pour le secteur privé que public. Les ressources seront-elles suffisantes pour faire face aux besoins de ces nouveaux arrivants ? Nous avons déjà rencontré à ce sujet le ministre Jean-Marc Fournier et fait une demande de rencontre avec la ministre Christine St-Pierre afin de sensibiliser les élus à cette problématique.
Souhaitons que le gouvernement donne à l’ensemble du réseau scolaire les moyens de recevoir et de scolariser cette nouvelle clientèle.
Sébastien Stasse
Ajout le 25 septembre 2015
Entrevue avec Alain Gravel de Radio-Canada
Entrevue avec Paul Houde au 98,5FM
Ajout le 2 février – Ce billet de blogue fait du chemin 😉 dans les médias, mais malheureusement pas du côté des politiciens.
La Presse : Enseigner aux enfants de la guerre
Courrier Bordeaux-Cartierville de Laval : Retrouver la paix au Canada
CBC Radio (anglais) : Les réfugiés syriens
CTV (anglais) : Montreal Armenians welcome refugees
Journal 24h et Journal de Montréal : Une seconde chance pour les réfugiés