L’arrivée des réfugiés, un « reality check » pour notre système éducatif

Notre petite école privée Alex Manoogian fait beaucoup parler d’elle depuis quelques mois, principalement à cause de la très médiatisée arrivée des réfugiés, clientèle que nous intégrons à la société québécoise depuis de nombreuses années, tout comme plusieurs autres écoles publiques d’ailleurs.

Au-delà de la francisation de ces enfants, la venue d’une aussi imposante clientèle à besoins particuliers s’avèrera un véritable test pour notre système éducatif, principalement dans la grande région de Montréal et voici pourquoi.

Lors d’un échange à l’Assemblée nationale sur l’arrivée de ces enfants réfugiés et des ressources prévues à leur intégration, le ministre Blais a mentionné que le Québec accueillait annuellement plus de 18 000 immigrants et que l’arrivée de ces réfugiés n’allait en fait augmenter le nombre d’enfants que de 6% dans nos écoles. J’apporterais ici deux nuances, issues de notre expérience au cours des 6 dernières années dans l’accueil de cette clientèle :

  • d’une part, le modèle actuel de l’école n’est pas prévu pour faire face à une clientèle aussi importante ayant subi des traumatismes liés à la guerre;
  • d’autre part, le ministre semble oublier que des 18 000 immigrants reçus annuellement tous n’ont pas besoin de mesure de francisation ce qui sera le cas de tous les nouveaux réfugiés syriens.

Une clientèle à besoins particuliers

Inutile de m’étendre sur les problématiques liées au vécu d’une partie des enfants réfugiés et avec lesquelles nous devons composer et surtout assurer un suivi psychologique, orthopédagogique ainsi qu’un accompagnement par des éducateurs spécialisés. Le système scolaire québécois, et mondial en général, a peu d’expertise dans l’accueil d’enfants ayant vécu la guerre civile. Dans un premier temps, il en résulte que les ressources dans nos écoles ne sont, pour le moment, pas nécessairement formées pour accueillir cette clientèle et qu’il faut souhaiter que des formations aient eu lieu pour préparer le milieu à ces cas particuliers.  Notre établissement et notre personnel  sont bien placés pour conclure qu’une partie de ces nouveaux arrivants manifestent, à leur arrivée ou parfois après quelques mois dans un milieu sécuritaire comme l’école,  des comportements qui peuvent s’apparenter à des troubles du déficit de l’attention, mais qui sont en réalité des symptômes liés à des chocs post-traumatiques. La grande différence: l’état de survie continuel de ces enfants et l’anxiété permanente liée à cet état.  Environ le tiers des réfugiés que nous avons reçus lors des derniers mois manifestent ce type de stress.

Il faut donc revoir nos pratiques habituelles d’intervention pour s’adapter à cette réalité. Accompagnement individuel, mesures adaptatives « adaptées » et encadrement personnalisé forcent un milieu éducatif à faire autrement et à réaffecter ses ressources différemment, sans enlever les services offerts aux élèves à besoins particuliers actuels.  Mais notre système éducatif est-il en mesure de faire face à un grand nombre de besoins aussi personnalisés qui dépassent les diagnostics habituels, qui apparaissent parfois quelques mois après l’arrivée des enfants et qui nécessitent une approche unique et ciblée pour chaque élève ?

 

Une intégration en cours d’année scolaire

Il existe deux modèles de classe de francisation dans les systèmes éducatifs. Un modèle d’intégration en classe régulière avec mesure ponctuelle de francisation en sous-groupe, et un modèle de classe intensive de francisation. Non seulement ce dernier modèle est le plus efficace, mais en plus, la présence d’un intervenant parlant la langue d’origine de l’enfant est un élément supplémentaire permettant d’assurer l’intégration rapide au milieu et l’apprentissage de la nouvelle langue. Donc, au-delà de l’intégration de ces enfants dans nos écoles et nos classes, encore faut-il donner les moyens aux enseignants d’être efficaces en francisation, dans des classes à effectif réduit incluant la présence d’un intervenant en classe pour les accompagner.

L’objectif étant que l’enfant passe le moins de temps possible dans ce type de classe, et qu’il soit en mesure de réussir lors de son intégration en classe régulière. Le système actuel est-il prêt à intégrer en classe régulière des enfants de différents âges, donc niveaux,  en cours d’année scolaire ? Sachant que, par expérience, ces enfants peuvent passer entre 4 et 18 mois en classe de francisation, on comprendra qu’il y aura nécessairement des arrivées et des départs en cours d’année scolaire dans ces classes, selon la rapidité d’apprentissage des enfants.

 

Impacts à moyen terme

L’arrivée massive de ces élèves à besoins particuliers forcera donc les écoles et les commissions scolaires à faire différemment, mais surtout à tendre vers un modèle d’une école plus personnalisée qu’elle l’est actuellement. La première année passée à l’école est cruciale pour cette clientèle et teintera certainement le reste du parcours scolaire des enfants. Un dépistage des difficultés et une prise en charge rapide des cas nécessitant des interventions sont donc gages de réussite de l’intégration de ces nouveaux arrivants. Dans deux ans, nous serons en mesure de voir si nous avons pu assurer la réussite de ces enfants. Parce que, faute d’encadrement adéquat, ils seront susceptibles de venir gonfler les rangs des classes d’adaptation scolaire.

En attendant les réfugiés syriens … accueil et francisation

Notre petite école communautaire arménienne offre un programme d’accueil et de francisation extrêmement efficace à des immigrants et des réfugiés depuis maintenant plus de 6 ans. Les événements dramatiques qui ont eu lieu en Irak et en Syrie, et qui sont d’ailleurs toujours en cours, associés à l’intention du Canada  d’accueillir de nouveaux arrivants dans les prochaines semaines nous incitent à entreprendre  l’ouverture d’une deuxième classe de francisation dans notre établissement.  Voici donc quelques aspects de notre programme ainsi qu’une certaine inquiétude face à l’arrivée prochaine de nouveaux réfugiés au Québec .

Origines du programme

Notre programme a vu le jour lors de l’arrivée d’une vague de réfugiés irakiens d’origine arménienne il y a de ça, plus de 6 ans déjà. L’organisme Hay Doun, oeuvrant dans l’accueil et le parrainage de ces familles, a alors entrepris des démarches auprès de notre établissement quant à la possibilité de recevoir cette clientèle spécifique.

Les deux premières années d’intégration de cette clientèle ont permis d’identifier certains éléments importants et nous ont conduits à revoir notre approche. L’accueil de ces élèves en classe régulière combiné à un accompagnement ponctuel en francisation (un modèle largement répandu au Québec) ne s’est  pas avéré fructueux, côté académique, pour les enfants. D’une part, les enseignants ne disposaient pas de suffisamment de temps, dans une dynamique de grand groupe, pour aider de façon optimale les élèves intégrés. D’autre part, l’apprentissage de la langue française, dans ce contexte, pouvait s’étendre sur une période de plus de 2 ans causant ainsi très souvent des retards importants quant au cheminement scolaire des enfants, les menant, dans certains cas, en adaptation scolaire pour la poursuite de leurs études.

Toutefois, nous avons pu remarquer que la présence de repères culturels liés à la langue arménienne et à la culture offraient aux élèves un environnement propice à une intégration rapide au milieu. De plus, un soutien en langue d’origine était un atout extrêmement précieux autant pour accompagner les enfants dans des services spécialisés que pour assurer une communication efficace auprès des parents. Il restait donc à trouver un modèle assurant la francisation et la réussite des élèves.

 

Les fondations de notre programme

D’un modèle où les enfants étaient intégrés en classe régulière nous sommes passés, il y a 4 ans, à un modèle de classe d’accueil intensive multiniveau et multiâge.

Une enseignante spécialisée dans l’enseignement du français en langue seconde assure l’enseignement et collabore avec une monitrice de langue qui s’occupe des élèves débutant leur apprentissage du français. Une classe à effectif réduit ne dépassant pas 17 élèves, une organisation de classe dynamique favorisant le travail en équipe (tables, tabourets, bureaux) et une présence des technologies informatiques sont les principaux ingrédients assurant le succès de notre nouveau modèle. L’approche personnalisée et graduelle combinée à des ressources humaines adéquates visent à assurer l’intégration des élèves en classe régulière afin d’assurer leur réussite. La majorité des élèves intègre ainsi les classes régulières en moins de 18 mois en classe d’accueil avec un retard d’environ un an sur le cheminement académique régulier.

 

Les clés de réussite

Une enseignante passionnée qui souhaite s’investir et travailler avec cette clientèle est le premier gage du succès de ce type de classe. Il faut assurer une stabilité auprès de cette clientèle pour qu’elle n’ait pas à vivre une situation d’abandon dû au départ de l’adulte signifiant en cours d’année.  L’encadrement et le milieu sécuritaire de l’environnement qui les accueille sont également des éléments importants pour ce type de clientèle qui a souvent vécu dans des conditions difficiles. La possibilité de s’exprimer dans leur langue est un atout important favorisant leur intégration,  la communication avec les parents ainsi qu’avec tous les intervenants. Bon nombre d’études ont confirmé les avantages du maintien des langues d’origine dans le domaine de l’éducation. Il est notamment prouvé que cela aide les élèves à mieux s’adapter sur les plans social, affectif et scolaire à leur arrivée dans le pays hôte (Bhatnagar, 1980) en plus de les aider dans leurs aptitudes scolaires et leur développement cognitif  (Danesi,1983; Swain et Lapkin, 1982; Wells, 1981). De plus, la souplesse de notre programme structuré permet de bien situer le niveau des enfants afin de leur assurer des apprentissages à la mesure de leur capacité. Finalement, l’organisation de la classe doit permettre de facilement passer d’un mode de travail individuel à un mode par équipe ou par atelier.

 

La structure financière

Notre école communautaire reçoit les subventions prévues pour les écoles privées. À ce montant s’ajoute la mesure particulière pour les élèves en francisation. Aucune autre mesure n’est prévue pour le secteur privé alors que le secteur public bénéfice d’au moins trois autres mesures leur permettant d’assurer l’intégration de cette clientèle. Vous comprendrez que ces nouveaux arrivants n’ont pas les moyens de payer les frais habituellement exigés pour la fréquentation d’un établissement privé. À cet égard, la communauté arménienne choisit, depuis le début du programme il y a 6 ans, de se mobiliser afin de combler ce manque à gagner et permettre aux enfants de fréquenter notre institution sans pour autant défrayer les frais de scolarité prévus.

 

En conclusion

Avec l’arrivée à très court terme à Montréal de plus de 600 familles syriennes et de près de 150 enfants entre 5 et 16 ans, notre institution s’interroge sur les ressources financières dont les établissements bénéficieront pour recevoir cette clientèle. En effet, les règles de financement du ministère de l’Éducation du Loisir et du Sport prévoient le versement des montants en fonction du nombre d’élèves inscrits au 30 septembre dans l’institution. Après cette date, aucune somme partielle de cette subvention n’est prévue pour des nouveaux arrivants. L’arrivée de réfugiés ne pouvant donc pas être planifiée avant le 30 septembre, il en résulte un manque à gagner important pour une petite institution comme la nôtre qui choisit d’accueillir cette clientèle, peu importe le moment de leur arrivée.

Notez que notre institution n’a jamais entrepris de démarche dans le passé pour obtenir un financement supplémentaire pour cette clientèle même après la date du 30 septembre. Aujourd’hui, devant le nombre important de nouveaux élèves qui sont attendus prochainement, nous nous questionnons sur le mode de financement actuel, autant pour le secteur privé que public. Les ressources seront-elles suffisantes pour faire face aux besoins de ces nouveaux arrivants ? Nous avons déjà rencontré à ce sujet le ministre Jean-Marc Fournier  et fait une demande de rencontre avec la ministre Christine St-Pierre  afin de sensibiliser les élus à cette problématique.

Souhaitons que le gouvernement donne à l’ensemble du réseau scolaire les moyens de recevoir et de scolariser cette nouvelle clientèle.

Sébastien Stasse

Ajout le 25 septembre 2015

Entrevue avec Alain Gravel de Radio-Canada

 

Entrevue avec Paul Houde au 98,5FM

Article du journal Metro

 

Ajout le 2 février – Ce billet de blogue fait du chemin 😉 dans les médias, mais malheureusement pas du côté des politiciens.

La Presse : Enseigner aux enfants de la guerre

Courrier Bordeaux-Cartierville de Laval : Retrouver la paix au Canada

CBC Radio (anglais) : Les réfugiés syriens

 

CTV (anglais) : Montreal Armenians welcome refugees 

 

Journal 24h et Journal de Montréal : Une seconde chance pour les réfugiés