Création d’un ordre professionnel du personnel enseignant ou … ?

Les récents événements survenus à l’école Bedford de Montréal ont relancé les discussions et les prises de position sur la pertinence de créer un ordre professionnel pour le personnel enseignant (Radio-Canada, La Presse, Le Devoir, Journal de Québec, TVA Nouvelles).

Or, le Conseil pédagogique interdisciplinaire du Québec (CPIQ) avait justement mandaté, en 2002, l’Office des professions du Québec d’émettre un avis sur l’opportunité de constituer un ordre professionnel des enseignantes et des enseignants. Au terme de l’exercice de consultation, d’analyse et de réflexion, l’Office des professions ne recommandait pas la création d’un ordre professionnel. Il semble donc pertinent de se pencher sur les motifs de leur décision de l’époque et d’évaluer si ces mêmes conclusions sont toujours valides aujourd’hui.

La reconnaissance comme profession

Précision d’abord les facteurs, issus du Code des professions, permettant de juger si le travail du personnel enseignant correspond bien à une profession. Chacun des cinq facteurs, résumés brièvement ici, sont d’ailleurs développés de manière exhaustive dans l’avis de l’Office des professions.

  • Sur le plan des connaissances requises, enseigner suppose des qualités, des connaissances et des habiletés que tout le monde n’a pas; celles-ci doivent en outre demeurer et se développer au fil de la carrière;
  • Sur le plan de l’autonomie, l’enseignant n’est bien sûr pas laissé entièrement à lui-même, seul avec son élève; au contraire, le système d’éducation lui impose des balises et intervient dans l’organisation du travail, la mise en place de partenariats obligatoires et la reddition de comptes; toutefois, dans le monde de l’enseignement, l’autonomie collective et individuelle demeure;
  • Sur le plan des relations, enseigner comporte par essence des rapports à caractère personnel imprégnés d’un lien de confiance;
  • Sur le plan de la confidentialité des renseignements, le contexte de l’enseignement fait ressortir que l’accès pour l’enseignant à des renseignements confidentiels peut devenir indispensable;
  • Sur le plan du préjudice ou des dommages, l’absence de contrôle de la compétence et de l’intégrité expose à des risques incontestables, et ce, même si la preuve des dommages demeure difficile à faire, notamment lorsqu’il est question du développement intellectuel et affectif d’un élève.

Office des professions du Québec (2002)

Au terme de l’analyse, l’Office établit que l’enseignement se présente en tous points comme un exercice assimilable à une véritable profession au sens du Code des professions. Pourquoi donc n’a-t-il pas recommandé la création d’un tel ordre ?

Pertinence d’un ordre professionnel selon l’Office

En fait, c’est que l’analyse de l’Office démontre que de nombreux mécanismes gouvernementaux sont déjà prévus afin d’encadrer l’exercice de la profession enseignante dont le Règlement sur l’autorisation d’enseigner et la Loi sur l’instruction publique. Les conventions collectives incluent aussi certaines prescriptions au niveau de la qualification ou sur le règlement des différends. Selon l’Office, ces mécanismes assurent donc déjà « en majeure partie » le contrôle de la qualification, les normes d’exercice et de déontologie, l’évaluation des pratiques et le régime disciplinaire propre à la profession. 

Des aménagements plutôt que la création d’un ordre

J’ai utilisé le terme « en majeur partie » parce que c’est justement à cet égard que l’Office suggère, plutôt que la création d’un ordre, trois aménagements au système d’éducation de 2002 et qui pourraient certainement encore trouver leur pertinence aujourd’hui. 

  1. Au niveau de l’admission à l’exercice de pratique, une fois que l’autorisation d’enseignement est accordée, le permis d’exercice pourrait s’inspirer du système professionnel et inclure une inscription annuelle publique permettant de suivre plus aisément les enseignants actifs dans la pratique. Cette inscription pourrait inclure : « la nature du permis, la vérification des antécédents judiciaires, les dispenses, les suspensions ou les limitations d’exercice » Office des professions du Québec (2002).
  2. Une évaluation individuelle inspirée de l’inspection professionnelle, pourrait être réalisée par les pairs et aurait comme objectif  « d’informer des bonnes façons de faire, de même que d’orienter et de soutenir les efforts d’amélioration » Office des professions du Québec (2002).
  3. La mise en place de mécanismes qui ont fait leurs preuves, issus du système professionnel, offriraient des moyens d’enquête et de sanction assortis de règles détaillées de surveillance disciplinaire. L’Office concluait que « le système d’éducation comporte sans doute quelques moyens de cette nature, mais ils agissent différemment, n’assurent pas le soutien efficace du plaignant et portent rarement le traitement du cas jusqu’à des sanctions formelles » Office des professions du Québec (2002).

L’avis de l’Office aujourd’hui

Bien que certaines instances ou mécanismes ont changé depuis l’avis de l’Office en 2002 (instauration du protecteur national de l’élève, création imminente de l’Institut national d’excellence en éducation, disparition du Comité d’agrément des programmes de formation à l’enseignement (CAPFE)), l’analyse réalisée par l’Office me semble encore très pertinente aujourd’hui. Les aménagements suggérés n’offriraient-ils pas les mécanismes permettant de répondre aux diverses raisons actuellement invoquées pour justifier la création d’un ordre soit :

  • pouvoir accéder à l’historique du dossier professionnel du personnel enseignant;
  • assurer une qualité des services par une évaluation périodique des pratiques appuyée par des ressources de développement professionnel reconnues;
  • prévoir des moyens de contrôle et d’accès à l’exercice de la profession.

La question n’est donc pas tant de savoir si l’enseignement est une profession, mais bien si la création d’une nouvelle instance s’avèrerait judicieuse pour la protection du public dans le contexte où des mécanismes déjà en place semblent, selon l’Office, offrir un encadrement semblable à un ordre professionnel. Et au final, les recommandations de l’Office, qui datent de plus de 20 ans, auraient peut-être avantage à être considérées avant de s’engager dans un chantier qui ne semble pas faire l’unanimité au sein même de la profession.

Sébastien Stasse

Références

Office des professions du Québec, (2002). Avis de l’office des professions du Québec sur l’opportunité de constituer un ordre professionnel des enseignantes et des enseignants. Gouvernement du Québec.