Un récent article de La Presse « Le prof qui a triché » m’amène à réfléchir sur le malaise entourant la notion d’évaluation au sein de notre système scolaire. L’article illustre assez bien la perception trop répandue de la démarche d’évaluation qui se limiterait à un cumul de notes sans égard à la compétence professionnelle de l’enseignant qui doit porter un jugement et ultimement la sanction.
L’évaluation de l’apprentissage est un jugement de valeur qui est une appréciation subjective puisqu’il implique nécessairement une décision basée sur l’observation, non pas de faits, mais d’une « manifestation » à un temps donné, des apprentissages.
« Évaluer l’apprentissage consistera toujours à porter un jugement de valeur — personnel et subjectif — sur cet apprentissage en fonction d’un certain nombre de données recueillies en observant ou en mesurant une performance »
Laurier, Tousignant et Morissette, (2005)
Donc un examen ou un test est un outil de mesure qu’il faut manier avec prudence puisque, pour qu’il soit utile pour dresser un portrait représentatif et juste des apprentissages des élèves, encore faut-il s’assurer de sa fidélité et de sa validité (Durand et Chouinard, 2006). On a eu un très bon exemple en juin dernier pour l’examen du MELS en français de 4e année du primaire où il a fallu revoir des questions, suite aux résultats désastreux obtenus par les élèves et traduisant un problème évident de fidélité et de validité. Ajoutez maintenant le niveau de stress, l’état de l’élève, la compréhension des questions… Alors, échouer une évaluation, permet-il vraiment de statuer sans se tromper sur l’apprentissage d’un élève? La réponse est non. Est-ce que les examens finaux amènent vraiment de l’information nouvelle sur le cheminement des élèves? Il ne faut peut-être pas les abolir, mais à tout le moins les prendre pour ce qu’ils sont, des outils parmi un ensemble de traces amassées par l’enseignant en cours d’année.
La réforme ou le renouveau pédagogique n’a malheureusement pas assez mis l’emphase sur l’importance de changer de paradigme en évaluation. Imaginez un apprenti menuisier qui lors du premier trimestre n’arriverait à utiliser sa tour à bois correctement que pour tailler 10 % d’une patte de table. Imaginez maintenant qu’il développe ses compétences et y arrive un peu mieux, à 40 % au second trimestre et qu’en fin d’année sa patte de table soit tout à fait conforme aux attentes à 100 %. Quelle note lui donnerons-nous? La moyenne des 3 étapes? Dans un bulletin chiffré actuel où chaque étape est pondérée, notre élève obtiendrait 70 % pour une patte de table conforme aux attentes… l’exemple illustre bien que ça n’a pas de sens. Un cumul de notes ne peut pas s’appliquer dans un tel cas pour justifier le degré de compétence et de connaissances acquises par l’élève.
Évidemment, on me dira que pour des matières académiques ce n’est pas pareil! Pourtant notre programme par compétence comprend des attentes de fin de cycle très précises. Dans ce contexte, certains élèves devraient obtenir 100 % en fin d’année, peu importe leur cheminement lors des autres étapes s’ils satisfont aux attentes prévues en fin d’année. Le problème c’est que notre programme d’enseignement est basé sur une approche par compétences, mais que le système d’évaluation est resté dans une approche d’évaluation de connaissances. Donc on continue à cumuler des notes, dont on fait la moyenne, dont on donne des pondérations qui diffèrent selon chaque enseignant.
Nous avons la grande chance de travailler avec des humains, au-delà des notes et des calculs mathématiques, le jugement professionnel de l’enseignant doit donc avoir sa place pour tenir compte de certains contextes … parce que oui … nous avons le pouvoir de changer des vies.
Sébastien Stasse
Laurier, M.D., Tousignant, R. et Morissette, D. (2005). Les principes de la mesure et de l’évaluation des apprentissages (3e ed). Montréal : Gaëtan Morin.
Durand, M.J., Chouinard, R. (2006). L’évaluation des apprentissages . Montréal : Hurtubise