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A propos sstasse

Acteur du milieu scolaire, pédagogue, passionné des nouvelles technologies et de l’évaluation. Mais aussi parent, amateur de ski et de plein-air.

La fin d’un voyage, retour sur l’itinéraire.

J’ai finalement reçu mon parchemin par la poste. On dit parchemin semble-t-il, pas diplôme. Je trouve que ça fait sérieux. Une enveloppe blanche et brune, remise en mains propres, livrée par un facteur qui ne se doutait pas qu’il venait de me remettre bien plus qu’un simple papier.

Quand il m’a tendu l’enveloppe, j’avais la larme à l’œil. Quelque chose entre l’émotion et la justification : « Vous n’avez pas idée du travail que représente le contenu de ce que vous tenez là. » Il a souri. Puis il est reparti, avec ses lettres et sa routine. Moi, je suis rentré avec mon parchemin et mon nouveau titre.

J’avais enfin terminé, MON doctorat. Un marathon intellectuel entamé par défi — celui d’intégrer la toute première cohorte du D.Éd. en administration de l’éducation à l’Université de Montréal. Un défi lancé à moi-même. Par curiosité. Pour voir si j’étais capable. Pour essayer d’avoir moins de doutes, bien qu’ils fassent partie de tous mes voyages depuis toujours.

J’en ai eu, du plaisir. J’en aurais eu plus avec plus de temps. Mais entre les fonctions professionnelles à temps plein, la vie de famille, la COVID et les multiples obligations… j’ai appris à composer avec le manque. À faire avec. À tenir bon.


Un doctorat, j’avais entendu que ça se faisait seul, mais finalement pas vraiment. J’ai eu la chance d’être entouré. Une cohorte d’étudiantes et d’étudiants, même si elle s’est réduite au long des étapes. Martial, mon directeur de recherche, moine de la rigueur. Pierre, mon codirecteur, qui a su injecter juste ce qu’il fallait d’humour pour relever l’essentiel. Il est parti peu après ma soutenance, sans pouvoir y assister. J’espère qu’il savait à quel point il a compté.

Et puis les autres. Les professeurs, les collègues, les amies et amis, ma famille, les enseignantes et enseignants qui ont accepté de se prêter au jeu de ma recherche. Ceux qui m’ont soutenu, même quand je doutais. Même quand j’essayais de comprendre comment faire une mise en page sur Word avec un Mac et un TDAH.

Rien n’a été simple, ni linéaire. Il a fallu justifier des données de recherche recueillies avant l’inscription officielle. Composer avec un jury qui change. Changer d’emploi en plein milieu. Se réinventer à chaque détour. C’est ça aussi, un doctorat. Un itinéraire qui change.


Je viens du quartier Centre-Sud de Montréal. Fier diplômé de la polyvalente Pierre-Dupuy, du CEGEP du Vieux-Montréal et de l’Université du Québec à Montréal. J’y ai eu des enseignantes et enseignants extraordinaires. Des gens comme M. Brousseau, Armel Boutard… qui m’ont donné le goût. Pas juste le goût d’apprendre. Le goût de comprendre. De chercher. De se tromper. En quelque sorte ils font partie de l’itinéraire.

On dit souvent que la chose la plus précieuse qu’on peut offrir, c’est du temps. Ce doctorat, c’est exactement ça. Du temps. Offert à une idée. À une réflexion sur ma pratique professionnelle. À un engagement. C’est un titre, oui. Mais surtout une trace. Un signe que j’ai pris le temps.


Alors voilà, ce voyage est terminé. Je suis docteur. Mais surtout, je suis reconnaissant de l’itinéraire.

Mitákuye Oyás’iŋ. Merci à celles et ceux qui ont croisé ce parcours. Et à mes parents qui ont toujours valorisé l’éducation sans pourtant ne jamais imposer de direction..

— Sébastien Stasse, D.Éd.

Lien vers l’essai doctoral : Analyse de la mise en œuvre d’une politique locale d’évaluation de l’enseignement axée sur le développement professionnel du personnel enseignant

Création d’un ordre professionnel du personnel enseignant ou … ?

Les récents événements survenus à l’école Bedford de Montréal ont relancé les discussions et les prises de position sur la pertinence de créer un ordre professionnel pour le personnel enseignant (Radio-Canada, La Presse, Le Devoir, Journal de Québec, TVA Nouvelles).

Or, le Conseil pédagogique interdisciplinaire du Québec (CPIQ) avait justement mandaté, en 2002, l’Office des professions du Québec d’émettre un avis sur l’opportunité de constituer un ordre professionnel des enseignantes et des enseignants. Au terme de l’exercice de consultation, d’analyse et de réflexion, l’Office des professions ne recommandait pas la création d’un ordre professionnel. Il semble donc pertinent de se pencher sur les motifs de leur décision de l’époque et d’évaluer si ces mêmes conclusions sont toujours valides aujourd’hui.

La reconnaissance comme profession

Précision d’abord les facteurs, issus du Code des professions, permettant de juger si le travail du personnel enseignant correspond bien à une profession. Chacun des cinq facteurs, résumés brièvement ici, sont d’ailleurs développés de manière exhaustive dans l’avis de l’Office des professions.

  • Sur le plan des connaissances requises, enseigner suppose des qualités, des connaissances et des habiletés que tout le monde n’a pas; celles-ci doivent en outre demeurer et se développer au fil de la carrière;
  • Sur le plan de l’autonomie, l’enseignant n’est bien sûr pas laissé entièrement à lui-même, seul avec son élève; au contraire, le système d’éducation lui impose des balises et intervient dans l’organisation du travail, la mise en place de partenariats obligatoires et la reddition de comptes; toutefois, dans le monde de l’enseignement, l’autonomie collective et individuelle demeure;
  • Sur le plan des relations, enseigner comporte par essence des rapports à caractère personnel imprégnés d’un lien de confiance;
  • Sur le plan de la confidentialité des renseignements, le contexte de l’enseignement fait ressortir que l’accès pour l’enseignant à des renseignements confidentiels peut devenir indispensable;
  • Sur le plan du préjudice ou des dommages, l’absence de contrôle de la compétence et de l’intégrité expose à des risques incontestables, et ce, même si la preuve des dommages demeure difficile à faire, notamment lorsqu’il est question du développement intellectuel et affectif d’un élève.

Office des professions du Québec (2002)

Au terme de l’analyse, l’Office établit que l’enseignement se présente en tous points comme un exercice assimilable à une véritable profession au sens du Code des professions. Pourquoi donc n’a-t-il pas recommandé la création d’un tel ordre ?

Pertinence d’un ordre professionnel selon l’Office

En fait, c’est que l’analyse de l’Office démontre que de nombreux mécanismes gouvernementaux sont déjà prévus afin d’encadrer l’exercice de la profession enseignante dont le Règlement sur l’autorisation d’enseigner et la Loi sur l’instruction publique. Les conventions collectives incluent aussi certaines prescriptions au niveau de la qualification ou sur le règlement des différends. Selon l’Office, ces mécanismes assurent donc déjà « en majeure partie » le contrôle de la qualification, les normes d’exercice et de déontologie, l’évaluation des pratiques et le régime disciplinaire propre à la profession. 

Des aménagements plutôt que la création d’un ordre

J’ai utilisé le terme « en majeur partie » parce que c’est justement à cet égard que l’Office suggère, plutôt que la création d’un ordre, trois aménagements au système d’éducation de 2002 et qui pourraient certainement encore trouver leur pertinence aujourd’hui. 

  1. Au niveau de l’admission à l’exercice de pratique, une fois que l’autorisation d’enseignement est accordée, le permis d’exercice pourrait s’inspirer du système professionnel et inclure une inscription annuelle publique permettant de suivre plus aisément les enseignants actifs dans la pratique. Cette inscription pourrait inclure : « la nature du permis, la vérification des antécédents judiciaires, les dispenses, les suspensions ou les limitations d’exercice » Office des professions du Québec (2002).
  2. Une évaluation individuelle inspirée de l’inspection professionnelle, pourrait être réalisée par les pairs et aurait comme objectif  « d’informer des bonnes façons de faire, de même que d’orienter et de soutenir les efforts d’amélioration » Office des professions du Québec (2002).
  3. La mise en place de mécanismes qui ont fait leurs preuves, issus du système professionnel, offriraient des moyens d’enquête et de sanction assortis de règles détaillées de surveillance disciplinaire. L’Office concluait que « le système d’éducation comporte sans doute quelques moyens de cette nature, mais ils agissent différemment, n’assurent pas le soutien efficace du plaignant et portent rarement le traitement du cas jusqu’à des sanctions formelles » Office des professions du Québec (2002).

L’avis de l’Office aujourd’hui

Bien que certaines instances ou mécanismes ont changé depuis l’avis de l’Office en 2002 (instauration du protecteur national de l’élève, création imminente de l’Institut national d’excellence en éducation, disparition du Comité d’agrément des programmes de formation à l’enseignement (CAPFE)), l’analyse réalisée par l’Office me semble encore très pertinente aujourd’hui. Les aménagements suggérés n’offriraient-ils pas les mécanismes permettant de répondre aux diverses raisons actuellement invoquées pour justifier la création d’un ordre soit :

  • pouvoir accéder à l’historique du dossier professionnel du personnel enseignant;
  • assurer une qualité des services par une évaluation périodique des pratiques appuyée par des ressources de développement professionnel reconnues;
  • prévoir des moyens de contrôle et d’accès à l’exercice de la profession.

La question n’est donc pas tant de savoir si l’enseignement est une profession, mais bien si la création d’une nouvelle instance s’avèrerait judicieuse pour la protection du public dans le contexte où des mécanismes déjà en place semblent, selon l’Office, offrir un encadrement semblable à un ordre professionnel. Et au final, les recommandations de l’Office, qui datent de plus de 20 ans, auraient peut-être avantage à être considérées avant de s’engager dans un chantier qui ne semble pas faire l’unanimité au sein même de la profession.

Sébastien Stasse

Références

Office des professions du Québec, (2002). Avis de l’office des professions du Québec sur l’opportunité de constituer un ordre professionnel des enseignantes et des enseignants. Gouvernement du Québec.

À propos des badges

Après avoir suivi la récente polémique au sujet des badges «d’agilité pédagogique – COVID-19» lancés par quelques Académies françaises, la poussière étant maintenant (un peu) retombée, il me semblait pertinent d’y ajouter mon grain de sel. Plus particulièrement dans le contexte où je travaille pour une organisation (CADRE21) qui octroie depuis 2015 des badges numériques dans un contexte de développement professionnel … des enseignants. 

Le contexte de la France

Il faut d’abord tenir compte du contexte du lancement de ces badges en France. À ce sujet, Philippe Watrelot dans son article de blogue « Y a-t-il un prof badging ? »  aborde de façon pertinente les nombreux aspects qui, selon lui, ont mené au tollé suscité par ces badges : le caractère disruptif (dont le langage start-up utilisé), un système d’éducation à l’agilité elle-même discutable pendant la crise et le caractère enfantin associé à une « récompense » en plein gel des salaires des enseignants.

L’écosystème d’apprentissage des badges

Ensuite, il faut mettre en perspective le rôle complémentaire des badges numériques dans le contexte de reconnaissance des acquis. À ce sujet, l’article récent (juin 2020) de Maxime Pelchat, « Les badges numériques : valeur, confiance, reconnaissance et crédibilité » permet de faire le tour de la question et de bien comprendre l’écosystème d’apprentissage qui le sous-tend.

Le contexte du Québec et du Canada

Ainsi, plus de 15 000 enseignants, conseillers pédagogiques, directions d’établissements, professeurs au collégial, étudiants et professeurs universitaires ont un portfolio numérique permettant l’acquisition de badges sur deux des plateformes des partenaires du Plan d’action numérique en éducation et en enseignement supérieur du ministère de l’Éducation du Québec, soit le Campus RÉCIT et le CADRE21. Le gouvernement fédéral canadien, par l’entremise du programme CodeCAN, a même contribué au financement du CADRE21 de façon à permettre l’accès à ses formations en ligne (et donc à l’acquisition de badges) à tous les enseignants francophones d’un océan à l’autre. Loin des médailles en chocolat, les badges numériques sont maintenant une réalité dans le portrait du développement professionnel ou de la formation continue des enseignants au Canada.  En plus de reconnaître les compétences associées à leur obtention (preuves), un nombre d’heures associées à leur acquisition permet d’inclure le tout dans un plan de développement professionnel. Au risque de me répéter, le badge numérique est une façon complémentaire de reconnaître le développement professionnel qui peut prendre différentes formes, comme je l’abordais dans l’article « Les multiples facettes du développement professionnel ».

La confiance au coeur du système

Il reste que la valeur d’un badge est étroitement liée à la confiance. 

  • Le badge reconnait-il bien les apprentissages ou compétences ciblés? 
  • A-t-on validé la preuve soumise avant l’octroi? 
  • Le rapport entre le temps investi et les heures reconnues est-il fidèle à la réalité? 
  • Le badge sera-t-il reconnu par l’employeur ?

Ainsi, certains émetteurs de badges ne valident pas ou peu l’information soumise. Dans d’autres cas, un microbadge est émis pour chaque réalisation, à la manière d’un parcours ou d’une approche de ludification. J’ajouterai que le terme Open badge renvoi à un standard d’accréditation que les émetteurs ont le choix ou non d’appliquer. Bref un badge ça peut aussi être n’importe quoi !

Un badge COVID-19 au CADRE21 ?

Finalement, je ne peux passer sous silence que le CADRE21 a été approché il a plus d’un mois par plusieurs utilisateurs, dont des directions d’établissement, pour concevoir un badge «Covid-19» afin de reconnaître le travail de leur personnel pendant la crise du printemps. Cette demande a fait l’objet de plusieurs discussions d’équipe, allant même jusqu’à la conception d’un prototype. Au final, l’équipe a conclu qu’il serait extrêmement difficile de porter un jugement sur les preuves soumises sans connaître le contexte particulier de chaque établissement. En effet, le modèle du CADRE21 mis en place il y a plus de 5 ans (et qui a peut-être inspiré celui présenté par les Académies françaises) vise à reconnaître des apprentissages ou des compétences réalisées dans le cadre d’une formation en ligne où le sujet est bien circonscrit permettant une validation du badge octroyé et une rétroaction personnalisée par un expert de ce sujet. C’est d’ailleurs cet élément qui assure la crédibilité des badges du CADRE21 et donc leur valeur dans le milieu éducatif francophone. À cet égard, le mot badge n’est d’ailleurs pas utilisé pour qualifier les formations, le badge n’est en effet qu’un outil d’attestation, plutôt qu’une fin en soi. Les utilisateurs font des formations, pas des badges ! Les badges du CADRE21 peuvent aussi reconnaître la participation à des événements, mais dans ce cas, le contexte est très différent puisque la validation est liée à la présence de l’utilisateur à l’événement en question.

Bref, il semblerait que la polémique soit finalement liée beaucoup au contexte éducatif, un peu à la reconnaissance du milieu de cette nouvelle approche qui doit inclure une forme de valorisation loin des bonbons … et peut-être aussi à un certain « timing ».

Sébastien Stasse