Piloter le changement (2e partie)

Ma plus grande peur en devenant directeur d’établissement était de perdre l’aspect créatif omniprésent dans mon travail d’enseignant : concevoir et piloter des scénarios d’apprentissage (ou des situations d’apprentissage et d’évaluation), concevoir des projets mobilisant les nouvelles technologies, imaginer des utilisations pédagogiques innovatrices à certains logiciels. Il va sans dire que ce qui m’a permis de garder ma motivation tout au long de mes années d’enseignant en sciences au primaire et au secondaire, c’était cette créativité qui m’amenait souvent à sortir de ma zone de confort et à surprendre mes élèves. Pas de manuel pour mes élèves, pas de cahier d’exercices, mais beaucoup de livres de références et du travail en projet contextualisé intégrant les TIC à longueur d’année. Je suis soulagé d’arriver à être tout autant créatif comme directeur, à un niveau différent, mais tout autant satisfaisant.

« Dans chaque enfant, il y a un artiste. Le problème est de savoir comment rester un artiste en grandissant.  » (Pablo Picasso)

Je crois donc beaucoup au développement de l’aspect créatif de l’humain. Cette créativité a la capacité de soutenir la motivation et de développer la confiance en soi. Je pense que l’avenir sur le marché du travail appartient à ceux qui sauront faire preuve de créativité et d’innovation tout au long de leur vie. La créativité, les Arts, c’est aussi ce qui tient mon garçon dans le système scolaire depuis plusieurs années. Ce qui le motive à l’école ce sont les cours d’arts plastiques, mais surtout de musique.

Il n’est donc pas étrange que j’aie choisi de réorganiser le curriculum scolaire de notre école d’abord en ajoutant les Arts et leur aspect créatif : de la musique au 1er cycle du primaire, du théâtre favorisant l’expression en français au 2e cycle et de la danse avec un volet culturel de danse arménienne au 3e cycle et au secondaire. Bien entendu, le succès de ces cours passe avant tout par la compétence et l’engagement des enseignants de même que par l’encouragement aux élèves à se dépasser, mais aussi par la mise en place d’un élément les obligeant à sortir de leur zone de confort. Un spectacle de fin d’année leur permettra de contextualiser et de rendre compte de leurs apprentissages aux parents et à leurs amis.

Ça n’est pas uniquement en modifiant le temps de cuisson d’un gâteau qu’on le réussit mieux.

Le principal défi que notre institution a à relever, c’est de trouver des façons de rendre efficace l’apprentissage du français dans un contexte où :

1) tous nos élèves sont minimalement trilingues;

2) la majorité d’entre eux ne parlent peu ou pas le français à la maison;

3) le français est très souvent la 3e langue et parfois la 4e;

4) certains élèves ne peuvent recevoir d’aide à la maison pour les devoirs en français;

Ajoutez que certains de nos élèves quittent l’école en juin et ne reparleront en français qu’à leur retour à l’école en septembre et que la langue «réflexe» dans la cour d’école est l’anglais ou l’arménien, et le portrait est assez complet.

Dans ce contexte, la pression sur l’école et les enseignants est énorme pour arriver à ce que nos élèves obtiennent un niveau de français égal à ceux des enfants dont le français est la langue première. Le réflexe normal de tout gestionnaire serait peut-être d’augmenter le temps d’enseignement de cette matière, mais suite à une rencontre de tous nos enseignants de français (maternelle à secondaire) et à l’analyse des examens du ministère, l’effet escompté de cette mesure ne sera peut-être pas au rendez-vous. Comme quoi encore une fois, les intervenants du milieu ont grand intérêt à être entendus avant l’application de solutions « évidentes sur papier » !

La suite dans un prochain billet !

Sébastien Stasse

Piloter le changement

Saviez-vous que la fin de l’année scolaire débute au début avril ? Les deux derniers mois ont en effet été particulièrement … disons accaparants. Au-delà du leadership pédagogique et relationnel propre à la tâche de direction, il reste le travail de gestionnaire qui s’accompagne parfois de décisions difficiles à prendre ayant des impacts directs sur les membres du personnel.

Pour faire une histoire courte, notre petite école communautaire est à la croisée des chemins, à devoir se redéfinir pour survivre. Ici, on est bien loin de l’image trop répandue de l’école privée aux coffres bien remplis et à la clientèle sélectionnée en fonction du rendement scolaire.  La majorité de nos élèves ne peuvent se payer l’école privée, le transport scolaire nous coûte une fortune et nous recevons de nouveaux immigrants (principalement des Irakiens parlant uniquement l’arménien) en immersion française.  Lors d’une conférence portant sur les TIC donnée dans le cadre des rencontres nationales des gestionnaires scolaires, ma présentation s’intitulait justement «Faire beaucoup avec peu» … c’est donc le quotidien dans tous les aspects de notre école !

 

La raison d’être de notre établissement, c’est l’arménien. La langue, la culture, l’histoire, la danse et les chants. Nos élèves sont d’origine arménienne et les parents souhaitent garder vivantes les racines d’un peuple dont la diaspora est plus grande que la population actuelle du pays. C’est donc la communauté, mais plus précisément un organisme de bienfaisance arménienne,  l’UGAB, qui réussit depuis la fondation de l’école, à éponger un déficit annuel important.

 

Lors des dernières années, notre école a cependant vu sa clientèle fondre de près de moitié et le défi est maintenant de mettre en place des éléments susceptibles de repeupler notre institution. Un beau défi qu’on m’a proposé (à ma grande surprise) en juin 2011 et que j’ai choisi de relever avec les intervenants du milieu, l’appui de la communauté, mais surtout l’assurance de pouvoir exercer un rôle actif au niveau pédagogique.

 

«Si tu veux construire un bateau, ne fais pas que rassembler tes hommes et femmes pour leur donner des ordres et pour expliquer chaque détail, mais éveille plutôt tes gens au désir de la mer.»

Antoine de Saint-Exupéry

 

Dès mon arrivée en poste, la mise en place d’un processus permettant aux enseignants de participer à cette reconstruction s’est avérée essentielle à la relance de l’école.  En fait la survie de notre établissement est aujourd’hui l’affaire de tous et je n’ai pas la prétention de connaître la recette gagnante.  L’implication des intervenants du milieu dans la détermination, en septembre dernier, de nouvelles orientations et d’un  nouveau projet éducatif sont les éléments centraux qui ont permis d’élaborer une vision commune qui sert de base tous les jours à mobiliser l’équipe afin d’appuyer chacune des actions posées. L’autre élément : faire émerger un sentiment d’appartenance à l’institution tant pour les élèves que les enseignants.  On peut dire qu’en moins d’un an l’atmosphère générale de notre école a complètement changé contribuant à un rayonnement positif dans la communauté … un premier résultat : déjà pour l’an prochain nous avons des listes d’attentes pour plusieurs classes du primaire.

 

Les « fondations » de la « nouvelle maison » étant maintenant solides, dans le prochain billet, je m’attarderai à présenter l’étape suivante, de loin le plus délicate, qui correspond à élever la nouvelle charpente. Il s’agit donc de la mise en place de changements dans le curriculum scolaire, dans divers aspects pédagogiques ainsi que dans la réorganisation des tâches du personnel.

 

Sébastien Stasse

Des bons moments

Inspiré par ce billet de @catherineperro j’ai décidé de publier ici quelques anecdotes qui me font encore plus apprécier mon travail comme direction d’école. Dès le début de l’année, je me suis construit une banque de ces bons moments en les compilant quotidiennement afin d’en garder la trace. En général, la reconnaissance est plutôt rare dans nos milieux, alors qu’on est souvent confronté à ce qui ne fonctionne pas : gérer des crises et éteindre des feux, voilà une partie du travail de direction, mais il reste cependant des moments exceptionnels au niveau pédagogique, mais surtout au niveau humain.

  • Lire sur les préférences de tâches d’une enseignante : j’ai très hâte de revenir au travail l’an prochain.
  • Michael qui vient à mon bureau tous les mardis midi pour me raconter les dernières nouvelles de lutte avec moult détails et en me montrant les photos sur le Web.
  • Les élèves de la maternelle qui viennent me montrer leurs réalisations et pour qui j’ai toujours des collants cachés dans un tiroir.
  • Les élèves de la classe d’accueil qui préparent des cartes de bienvenue sur le bureau de la nouvelle élève qui arrivera le lendemain, qui ne parle rien d’autre que l’arménien et qui est arrivée au Canada il y a 2 jours.
  • Des enseignants qui discutent de pédagogie.
  • Une enseignante d’expérience qui, suite à une formation, dit : nous sommes sur le chemin de la guérison.
  • Les câlins de quelques élèves de la maternelle et de la 1re année en fin de journée.
  • Un enseignant ému par une lettre de recommandation.
  • Une délégation d’élèves qui arrive à mon bureau en me disant : Monsieur il faut qu’on vous parle, mais en privé …
  • Une enseignante qui songe pour la première fois à animer un atelier lors d’un congrès suite à des commentaires sur son extraordinaire projet avec ses élèves.
  • Des enseignants qui acceptent de se lancer dans une recherche/formation.
  • Des élèves engagés dans diverses activités du comité étudiant et qui mènent à terme des projets.
  • Un système d’encouragement à l’expression française dans les corridors mis en place par les élèves d’une classe et son enseignante.
  • Assister à des spectacles animés par des élèves où les vedettes sont des élèves.
  • Sentir l’implication et le support du comité de parents
  • Voir la fierté des élèves à porter le chandail de l’équipe sportive de l’école, voir leur joie à remporter une médaille d’or et sentir leur déception suite à une élimination.
  • Lire les rêves pédagogiques de chaque enseignant de l’école.
  • Sentir qu’une vision est partagée par l’ensemble du personnel.

 

Et il y en a bien d’autres … je suis très chanceux d’oeuvrer dans le milieu où je suis.

 

Sébastien Stasse