La très délicate question de la propriété intellectuelle du matériel produit par les enseignants

À l’heure des Khan Academy, des classes inversées, des cours sur iTunes U et même de la possibilité pour un enseignant de publier son matériel pédagogique et d’en recevoir un revenu, à qui appartiennent donc réellement les contenus mis en ligne par des enseignants en fonction ? La plate-forme du iBooks Store d’Apple (pour ne nommer que celle-ci), consacrée à la diffusion de livres, à ouvert la porte à la publication directe de contenu sans avoir à passer par un éditeur. À l’aide d’un logiciel gratuit et relativement simple d’utilisation (iBooks Author), tout auteur peut aujourd’hui produire du contenu sous forme de livre multimédia et procéder à sa diffusion via l’iBooks
store d’Apple. Il est possible de le diffuser le livre gratuitement ou encore d’en demander un prix et ainsi de générer des revenus. Il est donc très facile pour un enseignant, par exemple, de diffuser une situation d’évaluation et d’apprentissage qu’il aura conçue dans le cadre de son travail. De plus, la démocratisation de l’internet par le phénomène du Web 2.0 et le caractère social qui entoure maintenant ce réseau rendent le partage de contenu simple et naturel. Ainsi, au grand plaisir de plusieurs enseignants, on assiste à la prolifération de matériel pédagogique produit par des praticiens et disponible au grand public, hors des traditionnels portails institutionnels privés. La diffusion de ce matériel sur des serveurs hors institutions pose donc la question non pas de la paternité des contenus, mais bien de leur propriété.

Voici des articles généraux à ce sujet. Ces articles sont d’ordre public, ils s’appliquent donc au-delà de toute convention collective. Le Code civil du Québec ne mentionne pas de façon directe la propriété intellectuelle du travail produit par un salarié, mais oblige ce dernier à agir avec loyauté face à son employeur.

  • 2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.
  • 2088. Le salarié, outre qu’il est tenu d’exécuter son travail avec prudence et diligence, doit agir avec loyauté et ne pas faire usage de l’information à caractère
    confidentiel qu’il obtient dans l’exécution ou à l’occasion de son travail. Ces obligations survivent pendant un délai raisonnable après cessation du contrat, et survivent en tout temps lorsque l’information réfère à la réputation et à la vie privée d’autrui.

Par contre, la Loi sur le droit d’auteur est très claire puisqu’elle stipule que c’est l’employeur qui demeure le propriétaire, à moins d’entente particulière, de l’oeuvre exécutée dans l’exercice de l’emploi.

  • 13. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l’auteur d’une oeuvre est le premier titulaire du droit d’auteur sur cette oeuvre.
  • (3) Lorsque l’auteur est employé par une autre personne en vertu d’un contrat de louage de service ou d’apprentissage, et que l’oeuvre est exécutée dans l’exercice de cet emploi, l’employeur est, à moins de stipulation contraire, le premier titulaire du droit d’auteur ; mais lorsque l’oeuvre est un article
    ou une autre contribution, à un journal, à une revue ou à un périodique du même genre, l’auteur, en l’absence de convention contraire, est réputé posséder le droit d’interdire la publication de cette oeuvre ailleurs que dans un journal, une revue ou un périodique semblable.

Dans cet ordre des choses, il semblerait (puisque je ne suis pas juriste) que les enseignants en fonction ne soient donc pas les propriétaires du contenu déposé en ligne et qu’ils devraient s’assurer d’obtenir l’autorisation de leur employeur ou à tout le moins avoir une entente avec eux, pour diffuser le matériel produit pendant qu’ils sont à l’emploi de leur établissement. Si je pousse le raisonnement plus loin, ceci implique aussi que lorsqu’un enseignant quitte une institution, le contenu produit dans le cadre de ses fonctions demeure la propriété de l’institution. Or, si le contenu produit par l’enseignant est hébergé sur des serveurs dont l’institution n’a pas le contrôle, il s’avérera très difficile pour l’institution d’accéder et de récupérer ce contenu.

La question est donc : comment arriver à conjuguer les droits des institutions et ceux des enseignants qui deviennent maintenant des producteurs et des diffuseurs de contenu ?

Comme enseignant, j’ai toujours partagé le matériel pédagogique que je produisais autant par le biais de mon site Web personnel hébergé sur des serveurs privés que par le serveur de l’école lorsque l’infrastructure existait. Aujourd’hui, comme directeur d’établissement, j’encourage plus que jamais mes enseignants à partager leur matériel. Nos serveurs permettent en effet l’hébergement de différents types de plateforme WordPress, Wiki, Web mais certains enseignants préfèrent des environnements plus spécifiques comme Edmodo par exemple ou souhaitent utiliser certains outils de Google permettant le travail collaboratif. Comme pédagogue, il m’est difficile d’interdire à un enseignant d’utiliser ce qu’il croit être le meilleur outil pour développer les compétences de ses élèves ou diffuser son matériel, si bien entendu le tout est légal et que nos serveurs ne peuvent offrir le même environnement. D’un autre côté, comme gestionnaire, je réfléchis à la nécessité de disposer d’une politique sur l’hébergement des ressources pédagogiques et sur l’utilisation avec les élèves de services hébergés à l’extérieur de mon établissement. Comment donc arriver à encadrer les nouvelles pratiques tout en favorisant le partage des ressources pédagogiques ? Je n’ai pas encore la réponse à cette question, mais nous sommes dans une nouvelle ère où il faut réfléchir aux nouveaux impacts des technologies, et surtout faire preuve de vision, de souplesse, d’ouverture et très certainement identifier des pistes de solutions novatrices en partenariat avec tous les intervenants concernés.

Sébastien Stasse

Je tiens à remercier Me Sonia Daoust de la FEEP pour la recherche des articles
de loi traitant du sujet.

Grilles d'observation de compétences non-disciplinaires

L’instruction annuelle de 2012-2013 du MELS prévoit que la section 3 du bulletin unique  doit  comprendre,  aux  étapes  1  et  3,  des  commentaires  sur  deux  des  quatre  compétences suivantes :

exercer  son  jugement  critique,

organiser  son  travail,

savoir  communiquer  et

travailler  en équipe. 

 

Voici, sans prétention, 4 grilles d’observation susceptibles  d’aider les enseignants à porter un jugement sur le développement de ces compétences par les élèves. Ces grilles ne permettent pas d’évaluer tous les critères prévus dans le programme de formation de l’école québécoise (PFEQ) pour chacune des compétences, mais constituent une bonne base de départ pour étayer son jugement.

Jugement critique

Organiser son travail

Communiquer

Travailler en équipe

 

Sébastien Stasse

 

 

Piloter le changement 3e partie

Pour qu’il soit vécu du mieux possible dans une institution, je crois que le changement  passe d’abord par la confiance du personnel envers le leader qui pilote le changement. Lorsque cette confiance est présente, qu’elle est nourrie de part et d’autre et que les actions menées sont conformes à la vision construite avec le milieu, on se trouvera en meilleure posture pour accompagner le personnel hors de leur habituelle zone de confort. Dans ce dernier billet sur le sujet, j’aborderai les questions du changement des pratiques pédagogiques mis en oeuvre dans notre institution.

 

La formation continue n’a du sens que si l’enseignant se sent concerné par son objet. On constate que les élèves ont besoin de situations d’apprentissage authentiques et signifiantes, on peut aisément étendre cette constatation à l’ensemble des apprenants. Le premier défi comme leader est donc d’identifier les besoins précis de chaque enseignant. Chez nous, un sondage sur le programme de formation et la production d’une planification annuelle portant sur des situations d’apprentissage et d’évaluation (SAÉ) vécues en cours d’année a permis aux enseignants de prendre conscience de certaines lacunes communes. De façon à y faire suite, plutôt que de proposer des formations ponctuelles offertes par des consultants «qu’on-ne-reverra-jamais-ensuite», j’ai plutôt privilégié un accompagnement à long terme avec le même intervenant.

 

Une ressource crédible ayant une expérience de terrain, et possédant aussi l’expertise nécessaire pour amorcer une réflexion globale sur l’ensemble des pratiques. Vous connaissez sans doute ma conviction que le nerf de la guerre en éducation c’est l’évaluation et qu’en y touchant, on induit immanquablement un changement de pratiques. C’est donc par cette voie que j’ai proposé aux enseignants dix rencontres sur une période de 2 ans avec Joëlle Morissette, professeure à l’Université de Montréal et spécialiste en évaluation. Nous avons établi un plan de match, que nous avons adapté, au besoin, après chaque rencontre. Les enseignants ont donc eu (ou auront) de la formation sur :

 

  • Le programme de formation et l’approche par compétence
  • PFEQ, progression des apprentissages, échelles de niveaux de compétences et les cadres d’évaluation !
  • Les outils pour l’évaluation des compétences
  • La conception d’outils d’évaluation
  • Le portfolio
  • Les situations d’apprentissage et d’évaluation
  • Le jugement et la décision

 

À ces formations s’est ajouté le réaménagement physique de certaines classes. Les bureaux individuels ont été remplacés par des tables, faciles à déplacer et favorisant le travail en coopération, en collaboration et en équipe. Ce changement de structure a pour impact de transformer les approches pédagogiques et de modifier considérablement le climat de travail. D’une seule classe réaménagée, nous sommes passés à deux et d’autres suivront sans doute l’an prochain, sur une base volontaire.

 

Mais un exercice intéressant susceptible de mener au changement des pratiques consiste à prendre le temps d’écouter les «rêves» pédagogiques des enseignants, de leur demander de les écrire et de nous les partager. Parfois, il suffit de très peu pour relancer une passion. Par cet exercice, dans notre milieu, plusieurs projets ont vu le jour : Apple TV et iPad à la maternelle, projet de zoothérapie par la présence d’un chien dans l’une de nos classes, mise en place de portfolio dans plusieurs niveaux, ajout de projecteurs multimédias, journée thématique en début d’année, création de murales.  À cette passion retrouvée se greffent ensuite souvent des demandes de formations ciblées portant sur des sujets variés. Le mot d’ordre : répondre au besoin et favoriser les formations individuelles. Certains souhaitent participer à des congrès, je crois important d’encourager les innovateurs à devenir animateurs afin de partager leur expertise.

 

La gestion du changement et donc un défi de taille qui nécessite, à mon avis, la collaboration du milieu. L’arrivée des appareils mobiles dans nos institutions précipitera le changement des pratiques, tant au niveau de la pédagogie, de l’organisation que de la gestion de classe. Il est donc important, pour gérer tous ces changements, de mobiliser le milieu afin d’être en mesure d’accompagner le personnel plutôt que de devoir justifier la présence de la technologie responsable des changements.

 

Sébastien Stasse