Piloter le changement 3e partie

Pour qu’il soit vécu du mieux possible dans une institution, je crois que le changement  passe d’abord par la confiance du personnel envers le leader qui pilote le changement. Lorsque cette confiance est présente, qu’elle est nourrie de part et d’autre et que les actions menées sont conformes à la vision construite avec le milieu, on se trouvera en meilleure posture pour accompagner le personnel hors de leur habituelle zone de confort. Dans ce dernier billet sur le sujet, j’aborderai les questions du changement des pratiques pédagogiques mis en oeuvre dans notre institution.

 

La formation continue n’a du sens que si l’enseignant se sent concerné par son objet. On constate que les élèves ont besoin de situations d’apprentissage authentiques et signifiantes, on peut aisément étendre cette constatation à l’ensemble des apprenants. Le premier défi comme leader est donc d’identifier les besoins précis de chaque enseignant. Chez nous, un sondage sur le programme de formation et la production d’une planification annuelle portant sur des situations d’apprentissage et d’évaluation (SAÉ) vécues en cours d’année a permis aux enseignants de prendre conscience de certaines lacunes communes. De façon à y faire suite, plutôt que de proposer des formations ponctuelles offertes par des consultants «qu’on-ne-reverra-jamais-ensuite», j’ai plutôt privilégié un accompagnement à long terme avec le même intervenant.

 

Une ressource crédible ayant une expérience de terrain, et possédant aussi l’expertise nécessaire pour amorcer une réflexion globale sur l’ensemble des pratiques. Vous connaissez sans doute ma conviction que le nerf de la guerre en éducation c’est l’évaluation et qu’en y touchant, on induit immanquablement un changement de pratiques. C’est donc par cette voie que j’ai proposé aux enseignants dix rencontres sur une période de 2 ans avec Joëlle Morissette, professeure à l’Université de Montréal et spécialiste en évaluation. Nous avons établi un plan de match, que nous avons adapté, au besoin, après chaque rencontre. Les enseignants ont donc eu (ou auront) de la formation sur :

 

  • Le programme de formation et l’approche par compétence
  • PFEQ, progression des apprentissages, échelles de niveaux de compétences et les cadres d’évaluation !
  • Les outils pour l’évaluation des compétences
  • La conception d’outils d’évaluation
  • Le portfolio
  • Les situations d’apprentissage et d’évaluation
  • Le jugement et la décision

 

À ces formations s’est ajouté le réaménagement physique de certaines classes. Les bureaux individuels ont été remplacés par des tables, faciles à déplacer et favorisant le travail en coopération, en collaboration et en équipe. Ce changement de structure a pour impact de transformer les approches pédagogiques et de modifier considérablement le climat de travail. D’une seule classe réaménagée, nous sommes passés à deux et d’autres suivront sans doute l’an prochain, sur une base volontaire.

 

Mais un exercice intéressant susceptible de mener au changement des pratiques consiste à prendre le temps d’écouter les «rêves» pédagogiques des enseignants, de leur demander de les écrire et de nous les partager. Parfois, il suffit de très peu pour relancer une passion. Par cet exercice, dans notre milieu, plusieurs projets ont vu le jour : Apple TV et iPad à la maternelle, projet de zoothérapie par la présence d’un chien dans l’une de nos classes, mise en place de portfolio dans plusieurs niveaux, ajout de projecteurs multimédias, journée thématique en début d’année, création de murales.  À cette passion retrouvée se greffent ensuite souvent des demandes de formations ciblées portant sur des sujets variés. Le mot d’ordre : répondre au besoin et favoriser les formations individuelles. Certains souhaitent participer à des congrès, je crois important d’encourager les innovateurs à devenir animateurs afin de partager leur expertise.

 

La gestion du changement et donc un défi de taille qui nécessite, à mon avis, la collaboration du milieu. L’arrivée des appareils mobiles dans nos institutions précipitera le changement des pratiques, tant au niveau de la pédagogie, de l’organisation que de la gestion de classe. Il est donc important, pour gérer tous ces changements, de mobiliser le milieu afin d’être en mesure d’accompagner le personnel plutôt que de devoir justifier la présence de la technologie responsable des changements.

 

Sébastien Stasse

 

 

 

Piloter le changement (2e partie)

Ma plus grande peur en devenant directeur d’établissement était de perdre l’aspect créatif omniprésent dans mon travail d’enseignant : concevoir et piloter des scénarios d’apprentissage (ou des situations d’apprentissage et d’évaluation), concevoir des projets mobilisant les nouvelles technologies, imaginer des utilisations pédagogiques innovatrices à certains logiciels. Il va sans dire que ce qui m’a permis de garder ma motivation tout au long de mes années d’enseignant en sciences au primaire et au secondaire, c’était cette créativité qui m’amenait souvent à sortir de ma zone de confort et à surprendre mes élèves. Pas de manuel pour mes élèves, pas de cahier d’exercices, mais beaucoup de livres de références et du travail en projet contextualisé intégrant les TIC à longueur d’année. Je suis soulagé d’arriver à être tout autant créatif comme directeur, à un niveau différent, mais tout autant satisfaisant.

« Dans chaque enfant, il y a un artiste. Le problème est de savoir comment rester un artiste en grandissant.  » (Pablo Picasso)

Je crois donc beaucoup au développement de l’aspect créatif de l’humain. Cette créativité a la capacité de soutenir la motivation et de développer la confiance en soi. Je pense que l’avenir sur le marché du travail appartient à ceux qui sauront faire preuve de créativité et d’innovation tout au long de leur vie. La créativité, les Arts, c’est aussi ce qui tient mon garçon dans le système scolaire depuis plusieurs années. Ce qui le motive à l’école ce sont les cours d’arts plastiques, mais surtout de musique.

Il n’est donc pas étrange que j’aie choisi de réorganiser le curriculum scolaire de notre école d’abord en ajoutant les Arts et leur aspect créatif : de la musique au 1er cycle du primaire, du théâtre favorisant l’expression en français au 2e cycle et de la danse avec un volet culturel de danse arménienne au 3e cycle et au secondaire. Bien entendu, le succès de ces cours passe avant tout par la compétence et l’engagement des enseignants de même que par l’encouragement aux élèves à se dépasser, mais aussi par la mise en place d’un élément les obligeant à sortir de leur zone de confort. Un spectacle de fin d’année leur permettra de contextualiser et de rendre compte de leurs apprentissages aux parents et à leurs amis.

Ça n’est pas uniquement en modifiant le temps de cuisson d’un gâteau qu’on le réussit mieux.

Le principal défi que notre institution a à relever, c’est de trouver des façons de rendre efficace l’apprentissage du français dans un contexte où :

1) tous nos élèves sont minimalement trilingues;

2) la majorité d’entre eux ne parlent peu ou pas le français à la maison;

3) le français est très souvent la 3e langue et parfois la 4e;

4) certains élèves ne peuvent recevoir d’aide à la maison pour les devoirs en français;

Ajoutez que certains de nos élèves quittent l’école en juin et ne reparleront en français qu’à leur retour à l’école en septembre et que la langue «réflexe» dans la cour d’école est l’anglais ou l’arménien, et le portrait est assez complet.

Dans ce contexte, la pression sur l’école et les enseignants est énorme pour arriver à ce que nos élèves obtiennent un niveau de français égal à ceux des enfants dont le français est la langue première. Le réflexe normal de tout gestionnaire serait peut-être d’augmenter le temps d’enseignement de cette matière, mais suite à une rencontre de tous nos enseignants de français (maternelle à secondaire) et à l’analyse des examens du ministère, l’effet escompté de cette mesure ne sera peut-être pas au rendez-vous. Comme quoi encore une fois, les intervenants du milieu ont grand intérêt à être entendus avant l’application de solutions « évidentes sur papier » !

La suite dans un prochain billet !

Sébastien Stasse

Piloter le changement

Saviez-vous que la fin de l’année scolaire débute au début avril ? Les deux derniers mois ont en effet été particulièrement … disons accaparants. Au-delà du leadership pédagogique et relationnel propre à la tâche de direction, il reste le travail de gestionnaire qui s’accompagne parfois de décisions difficiles à prendre ayant des impacts directs sur les membres du personnel.

Pour faire une histoire courte, notre petite école communautaire est à la croisée des chemins, à devoir se redéfinir pour survivre. Ici, on est bien loin de l’image trop répandue de l’école privée aux coffres bien remplis et à la clientèle sélectionnée en fonction du rendement scolaire.  La majorité de nos élèves ne peuvent se payer l’école privée, le transport scolaire nous coûte une fortune et nous recevons de nouveaux immigrants (principalement des Irakiens parlant uniquement l’arménien) en immersion française.  Lors d’une conférence portant sur les TIC donnée dans le cadre des rencontres nationales des gestionnaires scolaires, ma présentation s’intitulait justement «Faire beaucoup avec peu» … c’est donc le quotidien dans tous les aspects de notre école !

 

La raison d’être de notre établissement, c’est l’arménien. La langue, la culture, l’histoire, la danse et les chants. Nos élèves sont d’origine arménienne et les parents souhaitent garder vivantes les racines d’un peuple dont la diaspora est plus grande que la population actuelle du pays. C’est donc la communauté, mais plus précisément un organisme de bienfaisance arménienne,  l’UGAB, qui réussit depuis la fondation de l’école, à éponger un déficit annuel important.

 

Lors des dernières années, notre école a cependant vu sa clientèle fondre de près de moitié et le défi est maintenant de mettre en place des éléments susceptibles de repeupler notre institution. Un beau défi qu’on m’a proposé (à ma grande surprise) en juin 2011 et que j’ai choisi de relever avec les intervenants du milieu, l’appui de la communauté, mais surtout l’assurance de pouvoir exercer un rôle actif au niveau pédagogique.

 

«Si tu veux construire un bateau, ne fais pas que rassembler tes hommes et femmes pour leur donner des ordres et pour expliquer chaque détail, mais éveille plutôt tes gens au désir de la mer.»

Antoine de Saint-Exupéry

 

Dès mon arrivée en poste, la mise en place d’un processus permettant aux enseignants de participer à cette reconstruction s’est avérée essentielle à la relance de l’école.  En fait la survie de notre établissement est aujourd’hui l’affaire de tous et je n’ai pas la prétention de connaître la recette gagnante.  L’implication des intervenants du milieu dans la détermination, en septembre dernier, de nouvelles orientations et d’un  nouveau projet éducatif sont les éléments centraux qui ont permis d’élaborer une vision commune qui sert de base tous les jours à mobiliser l’équipe afin d’appuyer chacune des actions posées. L’autre élément : faire émerger un sentiment d’appartenance à l’institution tant pour les élèves que les enseignants.  On peut dire qu’en moins d’un an l’atmosphère générale de notre école a complètement changé contribuant à un rayonnement positif dans la communauté … un premier résultat : déjà pour l’an prochain nous avons des listes d’attentes pour plusieurs classes du primaire.

 

Les « fondations » de la « nouvelle maison » étant maintenant solides, dans le prochain billet, je m’attarderai à présenter l’étape suivante, de loin le plus délicate, qui correspond à élever la nouvelle charpente. Il s’agit donc de la mise en place de changements dans le curriculum scolaire, dans divers aspects pédagogiques ainsi que dans la réorganisation des tâches du personnel.

 

Sébastien Stasse