La poussière retombée suite à une soirée annoncée de confrontation et de débat (peut-on qualifier de débat un exercice où tout le panel est en accord et devant une assemblée de gens inspirants mais déjà tous convaincus 😉 ) dans le contexte d’une formule originale organisée par le dynamique Cadre21 confirme ma lassitude à entendre des conférences ou à participer à des activités portant sur la nécessité d’un changement en éducation. Je suis simplement usé !
La rafraichissante et pertinente présentation de Michel Cartier (ne provenant pas du milieu de l’éducation) lors de la première partie de cette soirée a apporté un angle intéressant sur le monde de demain et la cohabitation en porte-à-faux en éducation entre la culture de l’écrit et l’évolution vers la culture de l’image-écran. De plus, l’image forte du web 2.0 qui passe vers un web 3.0 axé sur l’internet des services (une nuance de l’internet des objets) était révélatrice de la nouvelle réalité qui émerge dans notre quotidien. La réalité de nos enfants sera loin de la nôtre, c’est aujourd’hui plus qu’évident et ce grand-père Cartier en est, lui, bien conscient.
Loin de moi l’idée de critiquer l’initiative du Cadre21 pour la suite du « non-débat » de cette soirée, tout de même fort enrichissante au niveau des rencontres informelles. Ce nouveau joueur développe et se positionne de façon remarquable sur l’échiquier de la formation professionnelle et continue, visant les enseignants (et souhaitons-le des administrateurs scolaires) sur le plan international. Signe que, dans la nouvelle mouvance numérique, la formation et le perfectionnement ne sont plus l’apanage que des institutions universitaires, l’approche du Cadre21 est, disons-le, tout simplement visionnaire.
Ma lassitude et mon découragement, sont donc plutôt attisés par le fait que l’on cherche encore à identifier qui doit mener ce changement et comment alors que bien peu d’exemples concrets ou de modèles de réussites sont généralement présentés pour illustrer la possibilité de mener des changements dans les règles de fonctionnement actuelles du système. Yvon Deschamps dirait « on veut pas le sawouère on veut le woèèère ».
On parle de « hacker » le système éducatif, Nancy Brousseau reprenait l’image de la « désobéissance civile » en éducation qui pourrait plutôt, à mon avis, se traduire par un sujet d’actualité :
si l’évitement fiscal est légal, pourquoi ne pas se tourner vers de l’évitement de régime pédagogique tout en naviguant dans les limites des règles.
Ça veut dire quoi concrètement ?
Introduire des périodes de parascolaires obligatoires en début ou fin de journée pour l’enseignement de matières hors curriculum mais en lien avec les compétences du 21e siècle. Mettre en place de l’enseignement à distance dans une formule de classe inversée. Intégrer une approche multidisciplinaire en team teaching avec deux enseignants pour un cycle complet au secondaire en décloisonnant les matières. Introduire un programme éliminant une matière de base pour une année en s’assurant que les acquis du programme régulier de la matière en question sont bien atteints l’année précédente.
Côté technologique, quand des enseignants m’approchent pour me dire qu’ils n’ont pas de sans-fil dans leur établissement, qu’ils ne peuvent pas utiliser leur propre ordinateur à l’école, que les appareils des élèves ne sont pas permis à l’école alors qu’ils n’ont pas accès à aucun ordinateur fonctionnel, qu’aucun programme d’éducation à la citoyenneté numérique n’est en place dans leur milieu, je me demande comment s’attendre à ce que le reste des choses changent si on est encore là. Le seul fait de parler encore de « services aux élèves » à propos des ressources d’encadrement essentielles pour certains de nos élèves à besoins particuliers en dit long sur la vision archaïque de l’intégration de cette clientèle. On ne doit plus parler de service, mais bien de ressources essentielles dans un contexte où cette clientèle occupe maintenant plus du tiers de nos classes et que les enseignants seuls ne suffisent pas à encadrer ces élèves.
L’école de demain vous dites …
Déjà il y a quelques années, en 2013, je me rendais à Calgary pour participer à un événement regroupant des centaines d’éducateurs et portant sur ce qui faisait obstacle au changement en éducation organisé par le ACE. Le constat était clair quant aux obstacles, les avenues bien présentées autour des compétences de demain et des apprentissages authentiques, en lien avec nos fameuses compétences transversales de notre programme de formation de l’école québécoise de 2001 (voir aussi le document de CCR). Je suis donc quelque peu découragé que des acteurs majeurs du milieu de l’éducation ou du gouvernement doivent, encore aujourd’hui, être convaincus de la nécessité de ce changement.
Mais aujourd’hui qu’en est-il ?
Depuis toujours, attendre que les changements soient amorcés par une instance supérieure m’a semblé utopique. L’implantation de la réforme au Québec devrait être une référence pour voir à quel point on peut faire déraper un changement de paradigme pourtant innovateur à l’époque. La récente présentation de Égide Royer devant les membres du parti politique au pouvoir actuellement ne peut être plus claire. Reste à voir maintenant ce qui sera réellement mis en application, surtout si du financement supplémentaire s’avère nécessaire. On risque d’y piger quelques éléments à la manière d’un buffet chinois, sans égard à la vision globale présentée. Parce que ce qu’il faut pour vraiment changer les choses en éducation c’est une vision à long terme.
« La personne qui ne sait pas où elle veut aller ne trouve jamais de vents favorables. » — Chef Seneca #CEACalgary2013
Mais bien au-delà de tout ceci, suite à cette soirée au Cadre21, à la succession de ministres de l’Éducation et aux propos d’Égide Royer, il reste qu’après 20 ans dans ce système, j’en viens au constat que le principal frein au changement est peut-être simplement que l’éducation n’est pas une priorité pour la population de notre province. Depuis combien de temps parlons-nous de décrochage scolaire ? Quelle valeur est accordée à un diplôme d’études secondaire, à un diplôme collégial ou universitaire ? Quelle est la perception de la population en regard aux enseignants et à notre système d’éducation en général ? Quelle importance les acteurs du milieu scolaire (enseignants et gestionnaires) accorde-t-ils à leur développement professionnel ? Au sein d’une population vieillissante, est-il tout simplement possible que les priorités soient ailleurs ?
Malgré tout, pendant que certains en parlent et en discutent de l’école de demain, d’autres y travaillent quotidiennement de façon créative, et il faudrait peut-être aujourd’hui beaucoup plus s’en inspirer.
Sébastien Stasse