Les multiples facettes du développement professionnel

Lors de mon dernier billet, j’ai abordé la posture de développement professionnel des enseignants, chargés de cours et professeurs comme étant une condition essentielle à l’entretien d’une sorte de gymnastique permettant de mieux s’adapter aux nombreux défis de l’enseignement en période de crise liée au COVID-19.

L’idée m’est donc venue d’aborder les différents ingrédients permettant d’optimiser le développement professionnel. Ce billet est en fait la continuité de certaines idées émises lors d’une courte présentation livrée aux directrices et directeurs des services pédagogiques (DSP) des écoles membres de la Fédération des établissements d’enseignement privés (FEEP) en 2013. À l’époque, j’occupais le poste de directeur d’une école offrant le primaire et le premier cycle du secondaire à des élèves de la région de Montréal.


Que les bottines suivent les babines (expression québécoise)

Ma présentation abordait en fait la dichotomie entre les pratiques que je souhaitais observer de la part des enseignants et les offres de développement professionnel que je leur proposais lors des journées pédagogiques. Ainsi je m’attendais à ce que les enseignants :

  • varient leurs approches pédagogiques;
  • différencient leur enseignement;
  • tiennent compte du rythme d’apprentissage des élèves;
  • contextualisent les apprentissages,

et en termes de développement professionnel, je leur offrais :

  • des formations en grand groupe dont le modèle était souvent une transmission de connaissances;
  • des formations qui ne tenaient pas compte du niveau des participants;
  • un modèle presque exclusivement limité aux journées pédagogiques ou aux congrès;
  • un sujet souvent imposé à tous sans égards aux besoins de chacun.

Inspiré par mes lectures (Guskey, 2001), mais surtout par le constat qu’il ne semblait pas y avoir de réinvestissement en classe des contenus des formations que j’imposais au personnel, j’avais alors enclenché un changement de posture basé sur des conditions qui me semblaient plus favorables pour optimiser les activités de développement professionnel. Mon défi était que la formation continue :

  • soit adaptée au besoin de chacun;
  • réponde à un besoin réel;
  • soit ciblée ou contextualisée;
  • s’inscrive dans une démarche d’accompagnement.

C’est en grande partie sur ces bases que j’ai ensuite organisé les offres de développement professionnel auprès des enseignants lors des années subséquentes. Identifier les besoins de développement professionnel du personnel devenait donc une priorité afin d’offrir des ressources pour répondre à ces besoins précis dans une formule adaptée selon le contexte de chacun. Ainsi, l’accueil de réfugiés issus de la guerre en Syrie, d’élèves autistes ou dysphasiques ainsi que l’intérêt pour la robotique ou l’apparition de nouvelles ressources numériques étaient autant d’occasions d’offrir des formations ciblées auprès de certains enseignants. L’intérêt manifesté pour les nouveaux programmes d’éducation à la sexualité ou d’orientation scolaire était aussi une opportunité de développer une expertise auprès de quelques enseignants pouvant ensuite devenir une référence sur le sujet dans notre milieu.

La matrice du développement professionnel, le chaînon manquant ?

Lors du Sommet du numérique de 2020, Jacques Cool (@zecool) et Maxime Pelchat (@mxpelchat) du CADRE21 ont présenté une matrice du développement professionnel, fruit d’une co-construction d’équipe du CADRE21, et inspirée de nombreux auteurs. On y retrouve une illustration très simple de trois éléments clés répartis en quatre cadrans qui permettent de déterminer, à un moment précis, les caractéristiques que pourrait prendre l’activité de développement professionnel. Cette infographie complète donc très bien mes réflexions de l’époque.

Matrice du développement professionnel du CADRE21 – 2020 – (Guskey, 2000; Joyce et Showers, 2002; Yoon et al., 2007; Timperley et al., 2007; Guskey et Yoon, 2009; Wei et al., 2009; Bissonnette et Richard, 2010; DeMonte, 2013; Richard et Bissonnette, 2014 ; Cordingley et al., 2015).

Ainsi,  le moment, le sujet abordé et l’objectif poursuivi permettent de déterminer différentes formes de développement professionnel à privilégier. D’une approche que l’on peut qualifier de plus autonome à un accompagnement de type plus dirigé, chaque dimension du cadran correspond à une modalité adaptée au besoin du moment de chaque professionnel. Ainsi, le cadran de la partie supérieure droite de l’infographie présente un enseignant qui se fixe des objectifs personnels, en identifiant un sujet selon ses intérêts et dont les apprentissages pourront être réalisés à son rythme. À l’inverse, dans un contexte visant les échanges entre collègues, le cadran de la partie supérieure gauche présente une approche où le sujet de la formation est contextualisé à une réalité du milieu (département, équipe-matière, équipe-école, etc.) et dont les apprentissages se feront dans un temps circonscrit et dans un lieu déterminé. En ce sens, les dispositifs permettant le développement professionnel se doivent donc d’être variés et souples (conférences, formation en ligne, communauté d’apprentissage professionnel (CAP), accompagnement ou animation par un conseiller pédagogique, ateliers, lectures, cours universitaires, événements ponctuels (Créacamp), etc.). À cet égard, l’École Branchée a produit un document répertoriant différentes activités de développement professionnel. Le rôle de la direction ou des responsables de la formation consiste donc à identifier des ressources afin que les besoins de développement professionnel manifestés par les enseignants puissent être comblés de différentes façons à différents moments.

Les défis du développement professionnel

À l’époque, j’avais conclu ma présentation en abordant certains éléments qui me semblaient être les défis de chaque organisation en termes de développement professionnel. Ces éléments me semblent encore pertinents aujourd’hui. Le plus grand défi est certainement le développement d’une culture (ou d’une posture) de développement professionnel dans un milieu. Cet élément est certainement la clé pour opérer des changements de pratiques tout en répondant aux besoins de chaque individu. En ce sens, trouver rapidement les ressources pour répondre aux besoins en temps réel de l’enseignant permet de maximiser l’impact des apprentissages réalisés en formation et contribue aussi au sentiment d’efficacité professionnelle (self-efficacy) selon Gaudreau (2013).

Reste que tout ça devient possible si, et seulement si, chaque enseignant a pu identifier ses besoins en développement professionnel et que la direction d’établissement ou le responsable de formation est au fait des besoins de son personnel.

Sébastien Stasse

Guskey, T. (2001). Evaluating professional development. Thousand Oaks, CA: Corwin Press.

Gaudreau, N. (2013). Soutenir la mise en oeuvre de nouvelles pratiques éducatives par l’accompagnement des enseignants et le développement de leur sentiment d’efficacité personnelle. Dans J. Pharand et M. Doucet (dir.), En éducation, quand les émotions s’en mêlent! (p. 174-197). Québec : Presses de l’Université du Québec.

Le modèle de Guskey

Comment évaluer l’impact du développement  professionnel

Un élément qui me semble important suite aux investissements en perfectionnement et en développement professionnels offerts par les directions scolaires touche l’évaluation de ses impacts. Dans mon avant-dernier billet résumant ma conférence de clôture à la rencontre nationale des RECIT, j’ai parlé du modèle de Guskey. Ce dernier a élaboré des niveaux d’évaluation permettant de  mesurer l’impact  de l’accompagnement des enseignants et du perfectionnement professionnel.

Voici donc les grandes lignes, librement traduites,  de ce modèle. Je dois mentionner que j’ai été mis en contact avec ce modèle par le Conseil Scolaire Francophone de Colombie-Britannique avec qui j’ai eu la chance de travailler comme consultant en technologie éducative pendant un an.

 

Niveau 1 – Réaction des participants

Ce niveau s’attarde au niveau de satisfaction des participants en regard à la formation reçue. Cette évaluation touche au contenu, au processus, ou au contexte de la formation. Par exemple : les participants ont-ils aimé la formation ? Le formateur était-il compétent ? La salle était-elle adéquate ?

 

Niveau 2 – L’apprentissage des enseignants

À ce niveau, on cherche à évaluer les nouvelles connaissances et habiletés des participants ou encore les compétences développées lors de la formation.

 

Niveau 3 – Le soutien organisationnel

Il s’agit d’évaluer le soutien de l’organisation face au changement qu’elle veut introduire par le biais de l’activité de perfectionnement ou de développement professionnel dans laquelle elle a engagé son personnel. Il s’agit des ressources mises de l’avant suite à la formation (ressources financières, ressources humaines, temps, etc.) selon les besoins des participants

 

Niveau 4 – L’utilisation par les enseignants des nouvelles connaissances et habiletés

À ce niveau, on souhaite évaluer le degré et la qualité de la mise en oeuvre dans la salle de classe, des nouvelles connaissances et habiletés acquises par les participants. Est-ce que la formation a eu de l’impact au niveau de la planification des cours de l’enseignant? Est-ce que la formation a modifié les pratiques pédagogiques de l’enseignant ?

 

Niveau 5 – Les résultats au niveau des élèves

Ce niveau tente de mesure l’impact de la formation reçu par les participants sur les élèves. Il peut s’agir d’observer les niveaux des résultats d’apprentissage, de la motivation, du comportement ou tout autre élément qui sera jugé pertinent ou sur lequel portait la formation.

 

Pourquoi le modèle de Guskey

Parce qu’il est courant d’offrir de la formation sans en mesurer le réel impact à court ou long terme.

Ma première responsabilité comme direction d’établissement en regard à la formation continue de mes enseignants est de leur fournir les ressources nécessaires pour assurer leur formation. Ma seconde responsabilité me semble donc être de m’assurer que le temps et l’argent ainsi investis donnent des résultats, idéalement et quand c’est approprié, à un niveau qui touche l’élève. Donc, au-delà du fait que les enseignants ont aimé la formation ou le formateur, je m’intéresse beaucoup plus à ce que l’enseignant et éventuellement l’élève en retirera à moyen ou à long terme.

Il reste qu’à la lecture du modèle de Guskey, une grande question m’est apparue :

est-ce que le modèle de formations ponctuelles permet d’amener de réels changements au niveau de l’élève, c’est à dire permet de réels changements dans les pratiques pédagogiques de l’enseignant ? 

Sébastien Stasse

 

Guskey, T. (2001). Evaluating professional development. Thousand Oaks, CA: Corwin Press.

Quand les médias sociaux s'invitent à l'école

La semaine dernière, j’ai eu le grand privilège d’être invité à clôturer la rencontre nationale des RECIT pour une conférence sur l’utilisation des médias sociaux à l’école.   Je me suis ainsi retrouvé à Duchesnay un beau mercredi midi devant une centaine de conseillers pédagogiques spécialisés en intégration des TIC. Voici donc les grandes lignes de cette conférence de même que le support visuel qui a servi à appuyer mes propos.

Déroulement de la conférence

Dans un premier temps, un ancien élève de notre école (Marc Dikranian) et une de nos enseignantes (Corinne Gilbert)  sont venus présenter tour à tour des usages des médias sociaux et du web 2.o ainsi que l’impact de cet usage pour le développement des compétences et de l’apprentissage.

Dans la seconde partie, j’ai présenté, du point de vue d’une direction d’établissement scolaire, quatre éléments que je crois essentiels à l’utilisation, à l’intégration et à la mobilisation des médias sociaux ainsi que des TIC à l’école. Le mot vision me parait un peu ésotérique dans le monde actuel où tout change si rapidement … mais disons que ma perception s’est construite au long de mes années d’enseignement, mais surtout lors d’accompagnements de directions et d’enseignants dans des projets d’intégration des technologies vécus dans plusieurs  provinces canadiennes à titre de consultant en nouvelles technologies. J’ai la grande chance aujourd’hui de pouvoir mettre en pratique cette vision, comme direction d’établissement scolaire, avec cependant très peu de moyens financiers. Il m’apparait donc difficile de traiter des médias sociaux et du web 2.0 avec un auditoire sans partager ma vision actuelle … de l’école de l’avenir. Voici donc les 4 éléments.

 1- La culture technologique de l’administration scolaire

Cette culture technologique est à mon avis essentielle pour construire l’école de demain et en est même l’une des conditions essentielles. Cette culture englobe l’usage, la mobilisation et l’intégration des TIC incluant l’utilisation des médias sociaux et des outils du web 2.0 par l’ensemble de l’administration scolaire (direction, direction-adjointe, secrétaire, personnel non-enseignant).

L’utilisation des technologies est encore loin d’être une priorité pour la majorité des enseignants, ainsi que pour les directions d’établissement scolaire. Imaginez alors les outils du web 2.0 ou les médias sociaux.  À titre d’exemple, chez nous, bien que j’ai eu un support inconditionnel de la part de ma direction dans tous les projets d’intégration de la technologie tout au long de ces années, la culture de l’utilisation de cette technologie n’était pas présente au sein de l’administration. Le résultat : 15 années où j’ai pu développer des projets innovateurs sans que les enseignants n’en viennent à changer leurs pratiques et sans qu’il n’y ait vraiment de « contamination » au reste de l’équipe. Il y a bien eu un ou deux enseignants qui ont manifesté de l’intérêt et développé des projets extraordinaires, mais il s’agissait toujours d’un intérêt personnel, non pas d’un projet d’école. Un blogue de classe est une chose intéressante, mais une culture de partage en réseau à l’échelle d’un établissement peut certainement s’avérer nettement plus profitable. Tant que la direction d’un établissement scolaire ne sera pas convaincue de l’importance de ces outils et n’y consacrera pas du temps et de l’énergie, on réagira aux médias sociaux plutôt que d’essayer d’en faire la gestion et d’encadrer leur utilisation.

2 – L’accompagnement des enseignants

L’accompagnement en matière de TIC et des nouveaux outils du web 2.0 doit se rapprocher des caractéristiques des médias sociaux. Les enseignants doivent avoir accès à la technologie 24h/24 7 jours/7, c’est le principe même des médias sociaux. Ils doivent  être accompagnés au quotidien, au moment où ils en ont besoin, une autre caractéristique des médias sociaux : l’instantanéité. Ils doivent pouvoir compter sur des serveurs performants hébergés par l’école ou la commission scolaire afin d’éviter que les données « infonuagiques » des élèves se retrouvent sur des serveurs privés. Si les enseignants ne trouvent pas d’outil assez performant sur le réseau interne scolaire, ils iront le chercher à l’extérieur des établissements scolaires.

Le développement professionnel devient donc aujourd’hui essentiel pour simplement suivre la cadence, surtout en matière d’outil du web 2.0 et de réseaux sociaux. Les éléments suivants sont essentiels :

  • Équiper chaque enseignant d’une machine performante est nécessairement la première étape.
  • Offrir ensuite un support presque quotidien qui répond au niveau de l’enseignant.
  • Privilégier l’accompagnement de l’équipe-école pendant une année complète.
  • Éviter de saupoudrer des formations annuelles où tout est à recommencer l’année suivante et où les mêmes enseignants se représentent souvent avec les mêmes questions.
  • Propulser les champions, supporter les débutants et différencier les formations.
  • Inclure les directions et le personnel ressource lors des formations à caractère TIC.

Songez-y,  quelles formations données aux enseignants ont eu un réel impact sur les élèves ? À ce sujet, j’ai glissé un mot sur le modèle de Guskey (une autre idée de billet de blogue à venir).

Je me propose de vous faire part des 2 autres éléments dans mon prochain billet. En attendant, vous trouverez ici le support visuel qui a servi à appuyer la conférence. La vidéo devrait être disponible sous peu.

Sébastien Stasse